Rio Tinto est en train d'apprendre à ses dépens qu'il peut être risqué d'offusquer un partenaire d'affaires aussi important que la Chine, qui a déjà été prête à lui sauver la vie en plein coeur de la crise du crédit.

De nouvelles accusations d'espionnage portées en fin de semaine par la Chine contre la direction de Rio Tinto ont eu pour effet de faire dégringoler son titre en Bourse hier. L'action a perdu 3,2% de sa valeur à Londres et près de 10% à New York, les deux marchés où le titre est inscrit.

 

Le site internet chinois baomi.org a publié samedi un texte affirmant que Rio Tinto avait espionné pendant six ans les fabricants d'acier chinois et que ceux-ci avaient payé trop cher le minerai de fer qu'ils avaient acheté du géant minier. Le chiffre de 102 milliards US en trop a été avancé par l'auteur de l'article, proche du régime.

Le site en question a par la suite été bloqué par les autorités, ce qui laisse croire que le gouvernement chinois a voulu se distancier des affirmations contenues dans l'article. Il s'agit quand même de la seconde salve des Chinois contre Rio Tinto depuis que leur projet de coentreprise a capoté, en juin dernier.

Chinalco, la société d'État chinoise, avait accepté en février 2009 de voler au secours de Rio Tinto en y investissant 19,5 milliards US, ce qui lui aurait donné 18% des actions et des participations variant entre 15 et 50% dans plusieurs projets miniers.

Ce faisant, Chinalco sauvait la vie de Rio Tinto, étranglée par la lourde dette contractée lors de l'acquisition d'Alcan, et qui n'arrivait pas à se refinancer à cause de la crise du crédit et de la chute brutale du prix des métaux.

La transaction a suscité beaucoup d'opposition du côté du gouvernement australien, où se trouve un des deux sièges sociaux de Rio Tinto (l'autre est à Londres) et surtout de la part des actionnaires, dont la participation aurait été diluée par l'investissement de Chinalco, qui aurait obtenu des actions à très bon prix.

Lorsque les conditions de crédit se sont améliorées, Rio Tinto a décidé de laisser tomber les Chinois et de régler son problème en émettant des actions et en s'associant avec son concurrent BHP Billiton dans les projets miniers qui étaient destinés à Chinalco.

Quelques semaines plus tard, quatre employés de Rio Tinto en Chine ont été arrêtés et soupçonnés d'espionnage. Ils sont toujours détenus, mais aucune accusation n'a été portée contre eux.

«Il faudrait être très naïf pour penser que c'est un hasard», estime Jean-Paul Thiéblot, directeur des affaires asiatiques de la firme de consultants Zins Beauchesne et Associés.

Avec l'échec du partenariat avec Rio Tinto, qui allait être le plus important investissement de la Chine à l'étranger, «les Chinois ont perdu la face», dit-il. Les accusations portées contre Rio Tinto sont en quelque sorte leur riposte à cet affront, selon lui.

Les Chinois sont les plus importants acheteurs au monde de minerai de fer, qui sert à fabriquer de l'acier. Ils sont par conséquent d'importants clients de Rio Tinto et de BHP Billiton, qui sont de leur côté les plus importants producteurs de minerai.

L'arrestation des employés de Rio Tinto est survenue alors que les deux parties négociaient des ententes d'approvisionnement à long terme en minerai de fer. De toute évidence, l'évolution de ces négociations ne plaisait pas aux Chinois, croit Jean-Paul Thiéblot. «Quand ils lancent un pavé dans la mare, ce n'est jamais accidentel», souligne-t-il. Ce genre d'attitude a beau envoyer un message négatif aux investisseurs étrangers qui s'intéressent à la Chine, les Chinois n'en ont cure, selon lui. Ils n'ont pas vraiment besoin d'investissements étrangers et sont plutôt eux-mêmes très actifs à l'étranger. Avec tout les capitaux dont elle dispose, la Chine se croit capable de tester ses limites, ce qui pourrait expliquer son attitude avec Rio Tinto Alcan.

Quant à savoir s'il y a eu véritablement espionnage ou corruption, «on ne saura probablement jamais le fin mot de l'histoire», croit le spécialiste.

Le différend devrait trouver une solution, avance-t-il, parce que la Chine a besoin de minerai de fer et que Rio Tinto a besoin de lui en vendre.