Arrêts de production dans trois usines de Kruger. Congé forcé chez Papier Masson. Nouvelles menaces de fermeture chez Tembec. Le secteur des pâtes et papiers traverse une crise sans précédent au Québec, et le pire est loin d'être passé.

«Il y a sûrement plusieurs usines en trop présentement et c'est clair que ça va fermer», a lancé à La Presse Affaires Guy Chevrette, président du Conseil de l'industrie forestière du Québec, au terme d'une semaine marquée par plusieurs nouvelles déprimantes.

Jeudi, Tembec a souligné la nécessité de «rationnaliser davantage» ses usines après avoir vu ses revenus fondre au troisième trimestre. Puis hier, son concurrent Kruger a annoncé la mise au chômage forcée de 1130 travailleurs d'ici à la mi-septembre à Brompton et Trois-Rivières.

L'industrie est frappée de plein fouet par une baisse sévère de la demande de papier journal. Ce recul, d'environ 30% depuis un an, a contribué à pousser les prix à des niveaux «insoutenables» et «irrationnels», a déploré avant-hier le président de Tembec, James Lopez.

La remontée rapide du dollar canadien par rapport au billet vert depuis quelques mois n'a rien fait pour arranger les choses. Kruger l'a citée comme une des principales causes de la fermeture temporaire de trois usines, hier.

«On exporte 85% de notre production à l'extérieur du Canada, donc c'est sûr qu'un dollar canadien élevé a un impact direct sur nos revenus», a indiqué Jean Majeau, vice-président principal aux affaires corporatives.

Kruger souffre elle aussi de la baisse marquée de la demande pour le papier. Un «très grand pourcentage» de ce recul est toutefois conjoncturel - conséquence de la crise des médias imprimés - et non structurel, a fait valoir M. Majeau.

Décroissance accélérée

Qu'importe le bilan de santé des médias, un fait demeure : l'industrie des pâtes et papier décroît à une vitesse fulgurante depuis le milieu de la décennie. Une vingtaine d'usines ont définitivement cessé leurs activités au Québec depuis le 1er avril 2005, détruisant au passage 3775 emplois, selon les données les plus récentes du ministère des Ressources naturelles.

Les nombreuses fermetures temporaires ont quant à elles mis au chômage forcé 3498 travailleurs, en incluant les mises à pied annoncées hier par Kruger.

«Et on verra encore plus de fermetures», a prédit Stephen Atkinson, analyste chez BMO Marché des capitaux, qui suit de près plusieurs papetières québécoises.

Un sombre constat partagé par ses collègues. «Les entreprises ne peuvent fermer leurs usines assez vite pour affronter la baisse de la demande, a lancé à La Presse Affaires un analyste torontois qui a demandé à garder l'anonymat. À moins d'un revirement drastique de la devise, on verra beaucoup d'annonces comme celle de Kruger.»

Effet de cascade

La présente crise est désastreuse pour l'industrie des pâtes et papiers, mais elle pourrait aussi affecter de plein fouet le secteur du sciage, également en pleine tourmente.

Les papetières utilisent des copeaux de bois pour fabriquer leurs produits. Or, si les usines de papier continuent à fermer au rythme actuel, l'industrie pourrait se retrouver avec un surplus annuel de 500 000 à 600 000 tonnes de copeaux, avance Guy Chevrette. Une catastrophe.

«Pour les scieries qui vendent leurs copeaux, actuellement entre 140$ et 150$ la tonne, c'est un revenu qui leur permet de boucler positivement dans bien des cas leur chiffre d'affaires, a-t-il expliqué. Si elles ne sont pas capables d'écouler ces copeaux, elles perdent ce revenu-là.»

Le président du Conseil de l'industrie forestière milite pour le développement accéléré de produits «à forte valeur ajoutée», qui pourraient être fabriqués à partir des copeaux. Par exemple, des granules pour le chauffage ou des litières. «Il y a un marché qui commence à se développer, mais qui est embryonnaire», fait valoir M. Chevrette.

L'ancien ministre péquiste dénonce le sous-financement public pour la recherche et développement de nouveaux débouchés. Un manque d'argent d'autant plus dommageable que l'industrie, exsangue, peine à allonger elle-même des fonds pour la R&D.

Les affaires sont tellement mauvaises que le Conseil, voué à la défense des entreprises forestières, a dû annuler son congrès annuel cette année pour la première fois depuis 1953. L'organisme craint même pour sa survie.

Selon les données du ministère de la Faune, l'industrie des pâtes et papiers employait 24 107 personnes au Québec en date du 15 juillet 2009, en première, deuxième et troisième transformation. Cela se compare à 30 250 au 1er avril 2005.

Quelque 35 usines de papiers, pâtes, cartons et panneaux sont en activité à l'heure actuelle dans la province, comparativement à 63 en 2007, indique le Conseil de l'industrie forestière