Une jolie table de cuisine ronde, quatre chaises, et un buffet tout en bois. Une photo de cet ensemble fabriqué par Shermag orne la une du dernier rapport du ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation sur l'industrie québécoise du meuble, en 2007. Deux ans plus tard, le plus grand des fabricants de la province fait face à une liquidation de ses actifs.

Même si l'ancien fleuron de l'industrie est sur la voie de garage, l'industrie est encore là. Mais avec l'Asie, le dollar, puis la récession, les fabricants tentent aujourd'hui d'éviter la troisième prise et le retrait.

C'est le cas de Fernand Fontaine, président, propriétaire et cofondateur de Groupe Dutailier, basé à Saint-Pie. L'entreprise, qui fabrique notamment des fauteuils sur billes pour les femmes enceintes et les jeunes mamans, compte 450 employés dans ses usines de Saint-Pie, Saint-Hyacinthe et Sainte-Anne-de-la-Pérade.

«On a déjà eu 850 employés, souligne Fernand Fontaine, en entrevue avec La Presse Affaires. On a fermé quatre usines au cours des six dernières années.»

Première prise

La première prise est arrivée comme une rapide en provenance d'Asie. Les bas salaires asiatiques, dans une industrie à haut taux de main-d'oeuvre, ont désavantagé les fabricants de meubles québécois, comme ceux d'une foule d'autres secteurs manufacturiers.

«Les Américains sont allés s'approvisionner en Asie, dit M. Fontaine. On a perdu le client. Et c'est très difficile de le reconquérir.»

«L'industrie a été fouettée par l'augmentation des importations de produits asiatiques, explique le président-directeur général de l'Association des fabricants de meubles du Québec, Jean-François Michaud. Cela a déstabilisé le marché et apporté une déflation des prix. C'a changé drastiquement les habitudes d'achat des professionnels. On nous sortait très souvent des planchers des magasins. Et après ça, c'est très long de rétablir des habitudes d'achat.»

Deuxième prise

La deuxième prise a suivi sans trop tarder, avec la hausse du dollar canadien, en même temps que la baisse du yuan chinois, si bien que le Groupe Dutailier a vécu «deux ou trois années où c'était vraiment pas rentable», dit M. Fontaine.

«On a vu le dollar monter et on se disait que ce serait temporaire, mais non», ajoute-t-il. Le Québec a perdu sa compétitivité. «Quand le dollar était à 65 sous, c'était nous les Chinois de l'Amérique. Le cheap labor, on le trouvait au Québec.»

Chez Dutailier, cette nouvelle donne s'est traduite par des compressions de main-d'oeuvre, mais aussi par un changement de la chaîne de production. «L'industrie du meuble qu'on connaissait à nos débuts, en 1977, avec des grands volumes vendus aux mêmes clients, c'est terminé», soutient M. Fontaine.

Troisième prise, retiré ?

Mais la décennie n'allait pas se terminer ainsi. La crise économique s'est pointée. La troisième prise fatale ? «Au début de la crise financière, j'ai craint, se rappelle Fernand Fontaine. J'ai vu la faillite de gros réseaux de détaillants, un paquet d'annulations de commandes, on s'est demandé si c'était la fin.»

Comme beaucoup d'autres fabricants québécois, que ce soit dans le mobilier résidentiel ou de bureau, Groupe Dutailier exporte une bonne partie de sa production aux États-Unis. Dans son cas, c'est 75%. Or, le marché s'est effondré.

«Le marché américain est moins preneur qu'il était, dit M. Fontaine. Auparavant, il n'était pas rare, dans des expositions de meubles, de signer des commandes qui nous occupaient pour trois ou quatre mois dans l'année. Ça n'existe plus.»

Chez Groupe Lacasse, à quelques pas de l'usine de Dutailier à Saint-Pie, le volume des ventes de ses meubles de bureau aux États-Unis a reculé de 30 à 40 % en un an. C'est sensiblement la même chose chez Artopex, de Granby, qui fait aussi dans le mobilier de bureau.

En maintenant ses ventes au pays, notamment grâce à une poussée dans l'Ouest, Artopex s'en tire avec un recul de 18 % de ses ventes cette année.

Pour toute l'industrie, le volume de ventes a baissé de 14,5 % au premier trimestre de 2009, par rapport au trimestre correspondant en 2008, indique Joëlle Noreau, économiste chez Desjardins.

«L'industrie du meuble est très liée à l'habitation, dit-elle. Or, c'est un secteur qui n'en est même pas encore à l'étape de la convalescence au États-Unis.»

C'est aussi douloureux du côté commercial, qui représente un peu moins du tiers du secteur québécois.

«Il s'est perdu 500 000 à 600 000 emplois par mois aux États-Unis, dit François Giroux, président-directeur général du Groupe Lacasse, filiale de la société américaine Haworth. Au début, la plupart des pertes d'emploi étaient dans le secteur financier et dans les services. Tous ces gens-là, ce sont mes clients !» Pas d'employés, pas besoin de meubles de bureau.

Le choc n'est pas récent. «La récession, pour nous, ça dure depuis 2007, explique le président du conseil du fabricant de meubles de salle à manger Canadel, Guy Deveault. Avec la hausse des prix des produits pétroliers, les consommateurs avaient moins d'argent pour acheter des meubles. Les Chinois, pris avec leur surproduction, ont baissé les prix. Ça a démarré la spirale.»

Une spirale que les fabricants ne peuvent vraiment inverser. Mais il y d'autres moyens d'arriver d'être sauf au premier but, puis de marquer des points.