Un gros chèque de paie ou un avis de licenciement? Le sort qui attend les futurs travailleurs de l'industrie aérospatiale montréalaise apparaît incertain, et les centaines de mises à pied des derniers mois ne font qu'amplifier le message contradictoire envoyé aux jeunes.

Les experts consultés par La Presse Affaires sont toutefois catégoriques: Montréal est «solidement» implantée comme troisième pôle de production dans le monde, aux côtés de Seattle et Toulouse. Et la crise actuelle n'y changera rien.

«Montréal demeure la seule ville au monde où on peut fabriquer toutes les composantes d'un avion dans un rayon de 30 km», souligne Mehran Ebrahimi, directeur du Groupe d'études en management des entreprises de l'aéronautique de l'École des sciences de la gestion de l'UQAM.

Selon le professeur, les 600 mises à pied à Montréal annoncées hier chez le fabricant de simulateurs de vol CAE - qui s'ajoutent à celles faites chez Bombardier, Pratt & Whitney et Bell Helicopter - ne viennent en rien compromettre la croissance à moyen et long terme de l'industrie montréalaise.

«Il y a une courbe qui dans l'ensemble progresse de façon très nette, même s'il y a des zigzags», explique-t-il.

Les jeunes qui songent à une carrière dans l'aérospatiale ne doivent surtout pas se laisser décourager par les mauvaises nouvelles des derniers mois, dit de son côté Karl Moore, professeur de gestion à l'Université McGill spécialisé en aviation.

«Certes, il y a des difficultés en ce moment, mais nommez-moi une industrie où il n'y en a pas? demande-t-il. Les jeunes ne devraient pas se concentrer sur cette année, mais regarder à moyen et long terme. Montréal est une excellente ville pour l'aérospatiale et cela ne disparaîtra pas du jour au lendemain.»

L'industrie aérospatiale emploie environ 42 000 personnes au Québec - surtout dans la région de Montréal - et génère des revenus annuels de plus de 12 milliards de dollars. Quelque 62% de toute la production canadienne se fait ici.

Pénurie?

Malgré la crise, les bonzes de l'industrie entrevoient un réel risque de pénurie de main-d'oeuvre au cours des prochaines années. Ils poursuivent leurs efforts de promotion auprès des jeunes, avec un bon succès.

À l'École nationale d'aérotechnique, affiliée au collège Édouard-Montpetit, les demandes d'admission faites au cours des derniers mois ont bondi de 26% par rapport à 2007, indique le directeur Serge Brasset. L'établissement comptera environ 1000 étudiants l'automne prochain, le double d'il y a trois ans.

Cette réponse «assez phénoménale» des jeunes s'explique notamment par la construction d'usines de Bombardier et Pratt & Whitney à Mirabel, où des milliers d'emplois devraient être créés dans quelques années en lien avec la CSeries, selon M. Brasset.

Et qu'en est-il des ingénieurs et autres spécialistes étrangers, qui ont immigré ici précisément pour travailler chez Bombardier ou CAE et qui ont perdu leur emploi? Montréal ne risque-t-elle pas de perdre ces cerveaux pour de bon? Karl Moore, de McGill, en doute.

«Les autres opportunités qu'ils pourraient avoir dans le monde risquent d'être à Toulouse, chez Airbus, ou à Seattle, chez Boeing, dit le professeur. Mais en ce moment, toute l'industrie souffre. Cela ne servirait à rien de déménager à Toulouse ou Seattle aujourd'hui car il n'y a pas plus d'occasions là-bas.»

Aussi bien rester à Montréal en attendant que le marché redécolle, surtout que le coût de la vie y est assez abordable, avance M. Moore.

Repositionnement

Louis Hébert, professeur titulaire de gestion stratégique à HEC Montréal, estime par ailleurs que les congédiements des derniers mois dans l'aéronautique n'ont rien de «radical», malgré leur ampleur. «On voit beaucoup d'entreprises qui essaient de minimiser autant que possible ces licenciements-là, car ce sont aussi des compétences qu'ils perdent.»

Les manufacturiers montréalais tentent de se «repositionner» de façon prudente en vue de la fin de la récession, dit-il en somme.

 

UNE SÉRIE NOIRE

2 février : Bell Helicopter Textron met à pied 500 travailleurs à son usine de Mirabel (400 ont été rappelés depuis).

5 février : Bombardier licencie 1300 travailleurs dans le monde, dont 700 dans ses installations montréalaises.

12 avril : Le fabricant de moteurs Pratt & Whitney licencie 500 employés à Longueuil.

14 mai : CAE met à pied 700 personnes dans le monde, dont 600 à Montréal.

 

L'AÉROSPATIALE EN CHIFFRES

42 200 emplois

235 entreprises

12 milliards de dollars de revenus*

62%de la production aérospatiale canadienne

70%des investissements en recherche et développement au pays

Source : ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation (2008), *2007