On a déjà vu plus réjouissant comme contexte de négociation. Les Travailleurs canadiens de l'automobile ont commencé hier leurs pourparlers avec General Motors (GM) au moment même où le géant évoquait lui-même l'idée... de sa propre faillite.

Le mot «faillite» ne se retrouve pas moins de 126 fois dans le document remis hier par GM à la Securities and Exchange Commission, le gendarme des marchés financiers américains.

 

Si certains passages concernent la faillite de Delphi, le plus important fournisseur de GM qui se trouve sous la loi de la protection contre les créanciers, c'est de la faillite pure et simple de GM dont il est principalement question dans la brique de plus de 400 pages. «Notre firme de vérification indépendante (...) affirme que nos pertes opérationnelles récurrentes, le déficit de nos actionnaires et notre incapacité à générer suffisamment de liquidités pour remplir nos obligations et soutenir nos opérations soulèvent des doutes substantiels sur notre capacité à survivre», explique GM.

Le constructeur affirme aussi clairement qu'il se dirigera droit vers la faillite si son plan de restructuration ne fonctionne pas comme prévu.

L'action de GM a été durement éprouvée par la nouvelle. Le titre a perdu 34 cents ou plus de 15% hier à New York pour clôturer à 1,86$US.

Pour Christian Navarre, spécialiste de l'industrie automobile à l'École de gestion de l'Université d'Ottawa, il ne faut cependant pas voir de signe particulier dans les documents remis hier. En tant qu'entreprise cotée en Bourse, GM n'avait pas le choix de dévoiler les conclusions de sa firme de vérification externe, Deloitte&Touche. Et on n'y apprend rien de bien nouveau.

«Techniquement, GM est en faillite depuis décembre», rappelle-t-il.

M. Navarre s'inquiète toutefois de l'effet qu'auront ces déclarations sur les consommateurs. GM a toujours soutenu qu'une faillite aurait des «conséquences dramatiques» sur ses ventes, prédisant que les consommateurs se montreraient alors réticents à acquérir ses véhicules.

«C'est un document qui n'est pas de nature à arranger les affaires de GM, ça, c'est clair», lance M. Navarre.

GM a perdu pas moins de 82 milliards US au cours des trois dernières années, dont 30,9 milliards l'an dernier. L'entreprise a reçu 13,4 milliards US du gouvernement américain et réclame une «aide d'urgence» supplémentaire de 16,6 milliards. Au Canada, les gouvernements fédéral et ontarien ont aussi indiqué qu'ils offriront une aide équivalente à 20% du plan américain.

Début des pourparlers

C'est avec ces sombres perspectives en toile de fond que le syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile (TCA) a entamé hier les pourparlers avec GM.

Les TCA ont expliqué qu'ils ont pu consulter une «entente provisoire» négociée entre GM et le syndicat qui représente les travailleurs américains (les UAW, pour United Auto Workers) et que c'est sur cette base qu'auront lieu les négociations avec le constructeur.

La stratégie des TCA - qui représentent environ 10 000 employés GM en activité au Canada - est claire. Leur président, Ken Lewenza, affirme que les usines canadiennes bénéficient actuellement d'un avantage par rapport à leurs voisines américaines à cause des salaires plus bas et de la productivité plus élevée.

M . Lewenza a expliqué que les travailleurs devront faire des «sacrifices» pour conserver cet avantage.

«Nous voulons négocier une entente qui maintiendra l'avantage d'investissement du Canada par rapport aux installations américaines de l'UAW, avec lesquelles nous entrons directement en concurrence», a-t-il dit lors d'une conférence prononcée à Toronto. M. Lewenza s'est dit «très préoccupé» par les documents indiquant la «fragilité» de GM, mais a affirmé avoir confiance en la viabilité de l'entreprise si les gouvernements acceptent de la soutenir.

Le leader syndical a affirmé qu'il espérait pouvoir négocier des concessions tout en maintenant les salaires et le gros des bénéfices des employés. Il a cependant affirmé que l'environnement actuel ne permettait d'offrir aucune garantie sur le maintien des emplois au Canada.

Les documents déposés hier par GM montrent aussi que le grand patron de GM, Rick Wagoner, a vu sa rémunération totale passer de 14,1 millions US en 2007 à 5,4 millions l'an dernier. M. Wagoner n'a pas touché de bonus l'an dernier, mais son salaire a atteint 2,1 millions. Il a accepté de le réduire au montant symbolique d'un dollar cette année.