Une salve de hausses du salaire minimum dans une quarantaine d'États et de municipalités aux États-Unis a pris effet cette semaine, mais elles ne suffiront pas à accroître de façon générale les salaires américains, estiment les économistes.

Depuis 2009, le Congrès n'a pas relevé le salaire minimum situé à 7,25 dollars de l'heure. Mais pour le début de l'année, 18 États et une douzaine de municipalités ont décidé d'augmenter les rémunérations minimales, un geste qui, selon les économistes, ne va affecter qu'un segment relativement étroit de la population.

Par exemple, le salaire horaire minimum de l'État de Washington est passé au 1er janvier à 11,50 dollars, le plus élevé de tous les États, tandis que certains États prévoient de progresser annuellement pour atteindre une paie de 15 dollars.

Mais même après huit ans de reprise économique et d'embauches solides qui ont fait tomber le taux de chômage à 4,1 %, un plus bas en 17 ans, les hausses salariales ont été bien plus léthargiques que ne le prévoyaient les économistes comme les décideurs.

Elles n'ont guère été partagées non plus.

Le dernier rapport officiel sur l'emploi américain en décembre a montré que les salaires n'ont augmenté que de 2,5 % l'année dernière, à peine au-dessus de l'inflation.

Depuis 2009, après la récession provoquée par la crise financière, la croissance des salaires a culminé juste au-dessus de 2 % annuel, ce qui était un peu plus rapide que l'inflation, mais en dessous des 3 % atteints lors des reprises précédentes.

« C'est la grande question. Pourquoi n'avons-nous pas vu davantage de croissance des salaires ? », s'interroge Robert Pinheiro, principal chercheur économiste à la Banque de Réserve fédérale de Cleveland.

Creusement des inégalités

L'évolution récente des rémunérations a été aussi marquée par « le creusement des inégalités », avec une grande partie de la croissance « concentrée au sommet », affirme une étude de Jay Shambaugh de la Brookings Institution.

De 1979 à 2016, ceux qui sont situés dans le cinquième des mieux rémunérés ont vu leurs salaires progresser de 27 % contre seulement 12 % dans le quintile d'en-dessous, tandis que les plus pauvres ont fait face à une diminution de 1 % de leurs rémunérations.

De nombreux facteurs sont à l'origine de cette situation, mais il n'y a pas de solution facile.

La lenteur de certains gains salariaux est due à la démographie d'une main d'oeuvre américaine vieillissante. Les travailleurs plus âgés et mieux payés prennent leur retraite - les baby boomers - sont remplacés par des « milléniaux » plus jeunes et moins bien payés, qui font baisser les salaires moyens.

Certaines zones, principalement à proximité des grandes villes, sont en plein essor ce qui entraîne les entreprises à relever les rémunérations et à offrir des avantages sociaux pour attirer ou retenir des salariés.

Mais d'autres « poches de faiblesse géographiques » subsistent, selon l'économiste Jared Bernstein du Center on Budget and Policy Priority. Il pense que ces régions tireraient bénéfice de projets d'infrastructures pour créer des emplois et leur permettre de combler le fossé.

Cet ancien conseiller économique du vice-président démocrate Joe Biden estime aussi que les entreprises « ont vraiment perdu l'habitude » de relever les salaires et que les dirigeants ont diminué les coûts de l'emploi pour doper les profits dans un contexte de croissance molle.

Jay Shambaugh partage cet avis affirmant à l'AFP que les compagnies vont avoir besoin « de se réhabituer à offrir des salaires au-dessus du marché car elles vont devoir débaucher des employés d'autres entreprises vu le peu de main d'oeuvre disponible ».

Ces économistes préconisent des mesures pour stopper le déclin de l'innovation, qui est à la source des concentrations d'entreprises. Ils invitent à une relance des possibilités de négociations salariales, alors que l'influence des syndicats s'est atrophiée et que les clauses de non-concurrence qui empêchent un employé de quitter une entreprise pour un concurrent ou de créer une société dans le même secteur, font florès et handicapent l'ascension professionnelle.

Vu l'environnement politique actuel, il paraît difficile de faire adopter ce type de mesures, concède M. Shambaugh. Il souligne toutefois qu'un consensus bipartite peut se nouer autour de l'idée de maintenir l'économie à flot en permettant même à l'inflation d'augmenter jusqu'à ce que les gains de salaires se répandent dans toute l'économie.