Avec une dette abyssale de 18 milliards de dollars, la ville de Detroit au nord des États-Unis envisage de vendre la très importante collection du musée d'art de cet ancien berceau florissant de l'industrie automobile.

Peu d'endroits comme le Detroit Institut of Art témoignent de l'ancien lustre de cette ville aujourd'hui en faillite. Fondé en 1885, le musée revendique une collection très importante d'oeuvres de maîtres acquises ou données par de riches mécènes de l'industrie automobile et de barons de la presse. L'estimation actuellement menée par Christie's s'élèverait entre 10 à 20 milliards de dollars.

Le Detroit Institut of Art est le premier musée américain à avoir acheté des Van Gogh et des Matisse. Dans cette immense bâtisse aux allures de temple grec, on trouve aussi des Rembrandt, des Degas, des Picasso, des Warhol et des Rothko. Avec «La Danse de la mariée en plein air», c'est l'un des rares musées aux États-Unis à posséder un Bruegel l'Ancien. L'établissement possède également une série de fresques uniques, «Detroit industry», peintes en 1932 par le Mexicain Diego Rivera en hommage à l'industrie automobile. Une aubaine pour certains créanciers.

«Il s'agit vraiment d'une menace existentielle», affirme Annmarie Erickson, la conservatrice en chef de l'établissement. «Vendre les toiles pourrait faire fermer le musée».

La ville qui possède le bâtiment et la collection, a cessé dans les années 50, de débloquer des fonds pour l'acquisition de nouvelles oeuvres puis a progressivement coupé toutes les subventions. Lâché dans les années 80 par l'État du Michigan, le musée est finalement repris en 1997 par une organisation à but non lucratif.

L'année dernière, l'établissement a repris des couleurs quand les administrés de trois comtés ont levé un impôt à hauteur de 23 millions de dollars par an.

«Les gens avant Picasso»

Faute d'éponger sa dette colossale, «Motor City» s'est déclarée en faillite en juillet, mais le processus judiciaire qui en découle pourrait durer des années.

«Il est très difficile de prédire l'avenir de cette collection», explique John Pottow, un spécialiste du droit des faillites à l'université du Michigan.

L'administrateur judiciaire de la ville a soulevé la possibilité de «tirer profit» des oeuvres via des prêts payants de toiles ou des cessions d'oeuvres.

Mais ces options posent des problèmes légaux. Le statut juridique de la collection n'est pas homogène, car certaines oeuvres n'ont pas été achetées par la ville et proviennent de collectionneurs privés. Et le musée est géré pour vingt ans par une organisation à but non lucratif qui échappe à l'autorité municipale.

Les créanciers, notamment des milliers de fonctionnaires retraités de la ville qui craignent de voir leur retraite coupée, sont séduits par cette idée. Certains manifestent haut et fort leur point de vue avec ce slogan: «Les gens avant Picasso».

Un récent sondage a montré que 78 % des habitants de Detroit étaient opposés à cette éventualité. Parmi eux, Lynn Cookson, bénévole au musée depuis huit ans «ne peut imaginer que les gens soient assez fous pour vider cet endroit».

Alphonso Porter, un ancien employé municipal de 53 ans, se résoud même à voir sa retraite avalée par la faillite de la ville. «C'est un endroit fabuleux. La ville de Detroit a besoin de le conserver si elle peut».