L'économie continue de se redresser aux États-Unis. Mais la première puissance mondiale génère surtout des «McJobs» peu payants qui découragent les sans-emploi. Et sa classe moyenne attend toujours les bienfaits de cette reprise qui profite surtout aux plus riches.

Nul doute, l'économie américaine s'est remise en marche en 2013, confirment divers indicateurs. Profits des entreprises en hausse, Bourse galopante, solides ventes d'autos... Mais cette reprise de la première puissance mondiale, après une grave récession, devient de moins en moins convaincante à mesure qu'on fouille dans les chiffres.

Les États-Unis présentent en effet un bilan paradoxal sur le plan économique. C'est d'ailleurs pourquoi, disent les experts, la Réserve fédérale (Fed) a maintenu la semaine dernière son soutien exceptionnel à la reprise du pays.

Un exemple: dans le secteur immobilier, dont l'effondrement est à l'origine de la crise financière de 2008-2009, les prix des maisons sont certes en hausse (" 12,2% sur un an, selon l'indice S&P/Case Shiller de juillet), et le marché de la revente croît également. Cependant, l'industrie immobilière confirme un ralentissement de la demande, cet été, face à la montée récente des taux hypothécaires.

De même, le commerce de détail s'active à première vue depuis un an, notamment dans le secteur de l'automobile (" 0,9% en août). Mais la confiance des consommateurs a diminué sensiblement en septembre, et les ventes des magasins ont ralenti en août (" 0,2% après un gain de 0,4% en juillet), signe que les ménages américains s'essoufflent rapidement.

On décroche

Or, c'est surtout sur le marché de l'emploi que le paradoxe économique américain est le plus inquiétant.

Comme le confirmaient les plus récentes statistiques (août), le chômage aux États-Unis continue certes de reculer (7,3%, soit 0,1% de moins qu'en juillet). Mais la baisse est lente. Et si le chômage diminue, ce n'est pas pour de bonnes raisons. Ce ne sont pas tant les embauches qui augmentent que le nombre croissant d'Américains qui renoncent à chercher un emploi.

Ils sont 7 millions à pouvoir travailler chez nos voisins du Sud, mais sans chercher réellement un emploi. Ce qu'on appelle le «taux de participation», ou la part de la population qui a un travail ou qui en cherche un, est tombé à 63,2%, un creux en 35 ans! Bref, les Américains abandonnent le marché du travail par milliers.

«Les salariés qui ont renoncé à travailler représentent les trois quarts de la baisse du taux de participation depuis le début de la récession», déplore l'Economic Policy Institute dans une note économique. Même les travailleurs dans la fleur de l'âge décrochent: plus de la moitié des gens (53,7%) ayant renoncé à travailler sont âgés de 25 à 54 ans.

Trop de McJobs

Sans oublier que la qualité des emplois créés laisse souvent à désirer. Selon la Brookings Institution, quelque 70% des embauches depuis la fin de la récession l'ont été dans des secteurs à faible coût de main-d'oeuvre, comme la restauration rapide et le commerce de détail. Ce que des économistes appellent des «McJobs», une référence aux emplois peu rémunérés des restos de type fast-food.

À cet égard, le portrait est désolant: corrigés de l'inflation, les salaires chez McDonald's n'ont pas progressé d'un cent... en 50 ans, selon des études américaines.

Pas surprenant que la révolte gronde dans ce secteur aux États-Unis, cible de plusieurs manifestations cet été de la part de travailleurs réclamant de meilleures conditions de travail.

La classe moyenne oubliée

Or, la reprise reste tout aussi médiocre pour la grande majorité des Américains.

Selon le Census Bureau, le revenu médian des ménages n'était en 2012 que de 51 017$US, quasiment au même niveau qu'en 2011. Il est encore inférieur de 8% au niveau de 2007 et de 9% au sommet historique de 1999.

Ce qui fait dire à Lawrence Mishel, président de l'Economic Policy Institute, que «le seul groupe qui ait vraiment prospéré depuis la fin de la récession, en juin 2009, ce sont les 5% de la population qui gagnent le plus».

Sans oublier que le taux de pauvreté - fixé pour un ménage gagnant moins de 23 283$US - a stagné en 2012, à 15%. Son plus haut niveau depuis 1993.

Dans ces conditions, les spéculations vont bon train pour savoir quand la Fed pourra retirer son soutien à l'économie américaine, marqué par des injections massives de liquidités (85 milliards US par mois) dans le système bancaire. Fin 2013? Début 2014? Chose certaine, cette reprise pourrait être l'une des plus frustrantes de l'histoire des États-Unis.

Le président Barack Obama a dû le reconnaître dans un récent discours à l'occasion des cinq ans de la crise financière. «Même si nos entreprises créent de nouveaux emplois et ont battu des records de bénéfices, le 1% le plus riche du pays a reçu 20% du revenu de la nation l'an dernier, quand le travailleur moyen ne bénéficie d'aucune amélioration.»