Aluminium, gaz, électricité... Les accusations de manipulations du prix de matières premières se multiplient aux États-Unis, en particulier à l'encontre des banques, et font l'objet d'un regain d'attention de la part des autorités.

La FERC, le régulateur américain de l'énergie, a annoncé récemment trois procédures contre des groupes majeurs: le géant pétrolier BP, accusé de manipulation des prix du gaz et menacé d'une amende de 28,8 millions de dollars, ainsi que les banques JPMorgan Chase et Barclays, accusées de manipulations des prix de l'électricité en Californie, qui se sont vu réclamer respectivement 410 et 488 millions.

Les manipulations de prix de l'électricité aux États-Unis n'avaient pas fait l'objet de tels gros titres depuis l'affaire Enron il y a dix ans.

Dans les métaux, une plainte en nom collectif a été déposée jeudi contre Goldman Sachs et la bourse londonienne LME, accusés d'entente dans le stockage d'aluminium afin de gonfler artificiellement les prix de ce matériau dans la région industrielle de Detroit.

La banque d'affaires, à travers les entrepôts de sa filiale Metro, qui font partie du réseau agréé par le LME, contrôle des stocks d'aluminium phénoménaux.

Retards orchestrés, tarifs faramineux

La plainte l'accuse d'avoir orchestré des inefficacités et retards de livraison atteignant 18 mois. Cela se traduit par des frais de stockage faramineux qui raréfient la disponibilité d'aluminium dans la région clé de Detroit et font flamber son prix réel pour les industriels, alors même que les cours sont déprimés sur les marchés financiers.

Coca-Cola, le lamineur Novelis, les constructeurs automobile GM ou Ford ou encore le brasseur MillerCoors ont dénoncé les pratiques de Goldman et du LME, les accusant d'avoir engendré une flambée de leurs coûts et perturbé leur approvisionnement.

Face à la recrudescence de dysfonctionnements et d'accusations de fraudes, la Fed se penche sur les actifs physiques de matières premières détenus par de très nombreuses banques et pourrait revenir sur l'autorisation qu'elle leur a donnée en 2003 de mener de telles activités en marge de leurs négoces de dérivés et courtage de matières premières.

Même le Congrès américain se penche sur la question: fin juillet, une commission avait tenu une audition intitulée: «les banques devraient-elle détenir des centrales électriques, entrepôts et raffineries» et autres oléoducs?.

Trois d'entre elles ont pris une place particulièrement proéminente sur ces marchés, profitant du boom des matières premières depuis dix ans, de la dérégulation bancaire et de la crise financière qui leur a permis de récupérer des actifs à bon compte: Goldman Sachs, Morgan Stanley, et JPMorgan Chase génèrent chaque année plusieurs milliards de dollars de revenus dans les hydrocarbures, le charbon, l'électricité ou les métaux.

Si le marché pétrolier est «incroyablement transparent», affirme à l'AFP le courtier en énergie John Kilduff, d'Again Capital, car l'or noir est stockable et transportable dans le monde entier, les autres matières premières sont souvent l'objet de marchés plus régionalisés, avec des acteurs limités.

«Il n'y a pas de doute que ces marchés sont bien plus ouverts que la Bourse aux manipulations de prix car ils sont relativement liquides» avec beaucoup moins d'acteurs en présence, et beaucoup moins transparents, renchérit Michael Peterson, analyste énergétique chez la banque MLV and Co.

«Le fait que de larges entrepôts approuvés par le LME soient détenus par des courtiers de matières premières (...) leur permet de contrôler l'approvisionnement en aluminium pour les utilisateurs et par conséquent, les prix», a jugé par ailleurs Saule Omarova, professeur à l'université de Caroline du Nord, lors de l'audition parlementaire.

Pour elle, la conjugaison d'activités de courtage, de financement et de négoce de matières premières physique crée aussi des risques sérieux de conflits d'intérêts.

Face à l'actuelle levée de boucliers, le LME a annoncé le mois dernier qu'il allait changer ses règlements de livraisons, accusés d'avoir largement contribué aux retards et au goulot d'étranglement dans l'aluminium.

JPMorgan Chase a d'ores et déjà annoncé qu'elle envisageait de se désengager d'une partie de ses activités de matières premières. Goldman Sachs n'envisage rien de tel. Morgan Stanley n'a pas répondu aux demandes de commentaires de l'AFP.