Trois ans après le passage de la réforme financière Dodd-Frank, les lobbyistes de Wall Street dépensent sans compter afin d'en atténuer la portée. Et ils ont apparemment trouvé des oreilles très attentives au Congrès.

On n'est jamais si bien servi que par soi-même. C'est sans doute ce que se sont dit les lobbyistes de la banque Citigroup lorsqu'ils ont essentiellement rédigé eux-mêmes un projet de loi voté au début du mois de mai par le Comité des services financiers du Congrès américain.

Le New York Times a en effet révélé la semaine dernière que les lobbyistes de Wall Street sont prêts à faire bien plus que de donner des conseils aux représentants du Congrès, ils sont aussi prêts à rédiger des projets de loi pour eux! Selon des courriels obtenus par le quotidien new-yorkais, 70 des 85 lignes du projet de loi H.R.992 reflétaient directement les recommandations de Citigroup.

Mieux, «deux paragraphes cruciaux, préparés par Citigroup en conjonction avec d'autres banques de Wall Street, ont été copiés presque mot pour mot [les élus ont modifié deux termes pour les mettre au pluriel]», ont précisé les journalistes du quotidien.

Ce projet de loi, un amendement à la réforme Dodd-Frank, a pour but de faire en sorte qu'un certain nombre de transactions sur des produits dérivés dits exotiques ne soient pas touchées par les nouveaux règlements.

Selon les lobbyistes de Wall Street et de Citigroup, cet amendement est bénéfique pour l'ensemble du système financier.

Selon les opposants, dont le département du Trésor, cet amendement aurait au contraire des conséquences négatives significatives, en permettant aux banques de continuer à courir des risques trop importants.

Si plusieurs ont été choqués d'apprendre que des lobbyistes puissent eux-mêmes rédiger un projet de loi pour le Comité des services financiers du Congrès, dominé par les républicains, Marcus Stanley, du groupe American for Financial Reform, n'a même pas été surpris.

«En fait, je serais vraiment surpris si c'était le seul projet de loi anti-Dodd-Frank où les banques ont eu un rôle clé dans la rédaction!», confie-t-il par téléphone.

«Il y a énormément d'argent en jeu et Wall Street met autant de pression qu'il peut sur les agences régulatrices, le Congrès et l'administration pour essayer d'amoindrir les aspects de Dodd-Frank qui touchent ses profits. Ces efforts sont incessants et fort bien financés», dit-il.

L'organisme spécialisé en financement politique MapLight a d'ailleurs relevé, la semaine dernière, que les membres du Comité des services financiers du Congrès qui ont appuyé les projets de loi défendus par Wall Street ont reçu deux fois et demie plus de contributions des milieux financiers que ceux qui s'y sont opposés, en 2011 et en 2012.

Selon le mensuel Washington Monthly, l'industrie financière aurait dépensé plus de 1,5 milliard auprès de lobbyistes enregistrés afin d'influencer la portée de la loi Dodd-Frank. Et il s'agirait d'une estimation très prudente.

«Les budgets des groupes comme le nôtre ne correspondent même pas à 1% de ce que Wall Street peut dépenser», soutient Marcus Stanley, d'American for Financial Reform, un des quelques organismes qui militent activement en faveur de la loi Dodd-Frank à Washington.

Aussi, il déplore que les firmes de Wall Street et leurs lobbyistes semblent jouir d'un accès presque illimité aux décideurs de Washington et aux agences de réglementation clés.

Selon la Sunlight Foundation, les 20 plus grandes banques et associations bancaires ont rencontré des représentants de trois agences clés (département du Trésor, Réserve fédérale et Commodity Futures Trading Commission) en moyenne 12,5 fois par semaine entre 2010 et 2012.

Pour certains, comme l'ex-sénateur et ardent partisan de la réforme Ted Kaufman, les efforts de lobbyisme de Wall Street s'apparentent à une forme de «guérilla». Marcus Stanley, quant à lui, n'est pas prêt à utiliser les mots «guerre» ou «guérilla», mais «une chose est sûre, dit-il, il y a beaucoup d'argent investi dans les campagnes électorales et dans les efforts de lobbyisme».