Prenant encore une fois un peu tout le monde au dépourvu, la Réserve fédérale américaine (Fed) s'engage désormais à ne pas hausser son taux directeur, tant et aussi longtemps que le taux de chômage ne sera pas descendu à 6,5%.

Son comité de politique monétaire accélère aussi la planche à billets qui passe d'un rythme mensuel de 40 à 85 milliards US pour une durée illimitée. Fin 2013, elle aura donc imprimé 1020 milliards.

Le taux des Fed Funds va continuer de se négocier dans une fourchette de 0% à 0,25%, en place depuis décembre 2008, «tant et aussi longtemps que le taux de chômage demeure au-dessus de 6,5%, que la projection d'inflation sur un horizon d'un à deux ans n'excède pas d'un demi-point de pourcentage la cible à long terme de 2% fixée par le Comité et que les attentes inflationnistes demeurent bien ancrées», lit-on dans son communiqué.

Fait à bien noter, la cible de chômage est réelle alors que celle d'inflation est une projection dans le temps.

C'est la première fois qu'une banque centrale occidentale relie directement sa politique monétaire à une cible de chômage. Les autres, comme celle du Canada, ciblent seulement l'inflation.

En conférence de presse, M. Bernanke a pris soin de préciser que ces nouvelles indications visaient avant tout une plus grande transparence, étant donné le double mandat de la Fed qui consiste à maximiser l'emploi tout en stabilisant les prix. En septembre, puis en octobre, la Fed avait indiqué qu'un premier resserrement ne surviendrait pas avant la mi-2015. Cet échéancier représentait la médiane de la prévision des 19 membres votants et non votants du Comité.

M. Bernanke a précisé que leur dernière projection pointait toujours vers cette échéance. Bref, la nouvelle formule avec cible de chômage ne signifie pas un nouveau délai avant une première hausse. La Fed s'attend d'ailleurs à ce que le taux de chômage se situe quelque part entre 6,0% et 6,5%, à la fin de 2015.

M. Bernanke a aussi indiqué que 6,5% n'était pas ce que la Fed considère comme le plein emploi. Il se situerait plutôt entre 5,2% et 6,0%. Si la perspective d'inflation reste faible, le taux directeur pourrait ne pas augmenter automatiquement une fois atteint la cible de 6,5%. Le mois dernier, il s'élevait à 7,7%.

«Ben Bernanke a clairement indiqué que les membres du comité de politique monétaire se gardaient une certaine marge de manoeuvre dans l'interprétation des cibles de chômage et d'inflation de la Fed», fait remarquer Francis Généreux, économiste principal chez Desjardins.

L'équipe présidée par M. Bernanke a en outre annoncé l'achat, pendant une période indéterminée, d'obligations du Trésor au rythme initial de 45 milliards par mois.

Cette initiative débutera le mois prochain, une fois terminée l'Opération Twist. Celle-ci consistait à troquer, au rythme de 45 milliards par mois, des obligations du Trésor de courte échéance contre d'autres de plus longue, de manière à infléchir les taux d'intérêt à long terme sur les marchés de crédit.

Ces nouveaux achats viseront des échéances de sept ans et plus dans une proportion de 58% et de quatre à sept ans à hauteur de 42%.

Cette quatrième ronde de détente quantitative s'ajoute à celle annoncée en septembre. Celle-ci consiste à acheter des titres adossés à des créances hypothécaires émises par les agences gouvernementales qui garantissent les prêts.

La Fed a précisé que sa politique monétaire accommodante «restera appropriée longtemps après la fin de ses programmes d'achat et l'affermissement de la reprise».

«La Réserve fédérale n'est pas restée les bras croisés malgré l'incertitude des négociations à propos du mur budgétaire, estime Sébastien Lavoie, économiste en chef adjoint chez VMBL. La décision est extrêmement proactive, étant donné que le cycle économique américain n'est pas assez robuste.»

Le Comité a d'ailleurs revu un peu à la baisse, pour une deuxième fois en six mois, ses prévisions de croissance pour 2012, 2013, 2014 et 2015. L'an prochain, l'expansion se situera entre 2,3% et 3,0% pour s'accélérer jusqu'à 3,7% en 2015. La croissance à long terme devrait se situer dans une étroite fourchette de 2,55 à 2,7%.

Devant la presse, M. Bernanke a répété ses inquiétudes face au dangereux bras de fer que se livrent le Congrès et l'administration Obama au sujet du mur budgétaire que les États-Unis risquent de percuter.

«Il est exceptionnellement important et urgent qu'ils s'entendent», a-t-il répété.

Faits saillants

> En se fixant une cible de chômage dans la conduite de sa politique monétaire, la Fed adopte une mesure sans précédent.

> La Fed imprimera de l'argent au rythme minimal de 85 milliards par mois pendant une durée illimitée.

> L'économie américaine est encore trop faible pour générer des emplois sans une politique monétaire exceptionnellement accommodante.