Le hall d'entrée est moderne, lumineux et aéré. Si ce n'était du moteur de voiture Honda exposé au centre de la pièce, on se croirait à Silicon Valley. Ancien cadre chez Apple, Mark Patton n'est donc pas dépaysé quand il rentre au bureau le matin pour remplir son nouveau défi : moderniser l'économie de l'Ohio, cet État ayant traditionnellement misé sur l'industrie automobile et manufacturière.

« Les gens ont cette perception (le combo automobile-manufacturier), mais l'Ohio a une économie très diversifiée », dit Mark Patton, un investisseur en capital de risque qui a déménagé de la Californie à Columbus en 2011 pour devenir associé principal de JobsOhio, un nouvel organisme privé de développement économique financé par des fonds publics et privés.

JobsOhio, c'est le bébé - controversé - du gouverneur républicain John Kasich, élu en 2010, qui aimerait que l'organisme ait le monopole de la vente d'alcool (comme la SAQ au Québec) et en utilise les profits pour faire du développement économique. Les tribunaux doivent toutefois trancher sur la légalité de l'opération. Depuis sa fondation en janvier 2011, JobsOhio dit avoir créé 31 300 emplois grâce à des investissements privés de 6,1 milliards US. « Nous voulons une approche du secteur privé dans le secteur public, dit Mark Patton. Nous voulons que l'argent public versé aux entreprises soit rentable dès la première année. Nous y arrivons dans 90% des cas.»

Comme l'organisme ne se rapporte pas à l'Assemblée législative de l'Ohio et n'a pas encore produit de rapport annuel, les sceptiques sont nombreux. « Nous ne savons rien du fonctionnement de JobsOhio », dit Tracy Maxwell Heard, whip de la minorité démocrate à la Chambre des représentants de l'Ohio. Le PDG de JobsOhio, Mark Kwamme, un investisseur en capital de risque de la Californie et un ami du gouverneur Kasich, a démissionné la semaine dernière après que la Cour suprême de l'Ohio ait refusé d'autoriser, pour l'instant, le transfert du monopole d'alcool à JobsOhio.

Malgré la controverse, l'économie de l'Ohio se diversifie à la vitesse grand V, sans pour autant renier ses origines manufacturières. Dans le nord de l'État, à Cleveland, la communauté des affaires a choisi l'an dernier le slogan « We Build Stuff Here » pour moderniser son économie. « Nous n'essayons pas de devenir Silicon Valley, mais nous misons sur nos forces : innover dans le manufacturier, notamment dans le secteur de la santé où le Cleveland Clinic est l'un des quatre meilleurs hôpitaux de recherche au monde », dit Tom Waltermire, PDG de Team NEO, l'organisme de développement économique du nord-est de l'Ohio.

Même si le défi de passer à une économie manufacturière de type 2.0 n'est pas simple, l'Ohio ne part pas de rien. En 1983, dans la ville d'Akron (connue des amateurs de basket comme la ville natale de LeBron James), l'usine de pneus de BFGoodwrich fermait ses portes pour être remplacée par un concept novateur pour l'époque : un accélérateur d'entreprises. Aujourd'hui, l'Akron Global Business Accelerator héberge 54 entreprises, qui louent des bureaux à gratuit et bénéficient de formation gratuite. En plus des entrepreneurs locaux, Akron cible des entreprises étrangères en Finlande, en Israël, en Allemagne, en Chine, aux Pays-Bas et en Slovénie. « Des compagnies matures dans leur pays d'origine veulent un accès au marché américain sans avoir à faire face seules à toutes les complications », dit Anthony Margida, directeur des services aux entrepreneurs de l'accélérateur d'Akron.

Avec ses trois hôpitaux de recherche universitaires, Akron se spécialise notamment dans les technos biomédicales. Un exemple : FMI Medical Systems, dont les prototypes combinent plusieurs tests médicaux afin détecter plus rapidement certaines maladies comme le cancer. « Quand les banques se sont effondrées en 2007, il n'y avait plus d'argent, donc nous ne pouvions plus payer nos dépenses. Akron a cru en nous et le maintenant, nous voulons créer des emplois aux États-Unis et exporter nos produits en Chine. Le contraire de ce qu'on entend habituellement! », dit Bill McCroskey, PDG de FMI, qui teste ses prototypes dans cinq hôpitaux à Akron, en Finlande et à Ottawa.