Si l'industrie américaine de la câblodistribution peut receler quelques perles rares, les deux incursions canadiennes au sud de la frontière annoncées coup sur coup cette semaine tiendraient plus de la coïncidence que d'une nouvelle vogue. En fait, les analystes financiers s'inquiètent plutôt pour le câble américain, chauffé par l'internet et les satellites.

Mercredi, l'entreprise québécoise Cogeco Câble a annoncé avoir gagné les enchères pour Atlantic Broadband, le 14e câblodistributeur en importance aux États-Unis, au prix de 1,36 milliard US.

Quelques heures plus tard, l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada annonçait s'être joint à une entreprise européenne de capital-risque pour acquérir Suddenlink Communications, le septième câblodistributeur en importance aux États-Unis, contre 6,6 milliards US.

Les deux acquéreurs paient respectivement 9,1 fois (le résultat de 2011) et 8,6 fois (projection basée sur le premier trimestre de 2012) le résultat d'exploitation (avant intérêts, impôts et amortissement). Cela les place dans la fourchette supérieure de prix, par rapport aux dernières transactions comparables.

«Nous croyons que Cogeco Câble paie une prime importante», commente l'analyste Philip Huang, de la société UBS Investment. L'entreprise devra surenchérir encore davantage si elle veut étendre sa présence aux États-Unis maintenant qu'elle y a pris pied, craint-il.

«Ce n'est pas bon marché», indique pour sa part Maher Yaghi, analyste chez Valeurs mobilières Desjardins.

En comparaison

Quelques points de comparaison: le prix payé par Time Warner Cable il y a un an pour le réseau d'Insight Communications représente 8,6 fois le résultat d'exploitation courant. WideOpenWest (Wow) a pour sa part payé l'équivalent de 8,0 fois les bénéfices bruts de Knology, en avril dernier. Consolidated Communications aurait fait la meilleure affaire avec un multiple de 6,4 fois, lors de l'acquisition de SureWest en février.

L'acquisition annoncée par Cogeco Câble paraît d'autant plus chère si l'on considère que le marché boursier accordait à l'entreprise québécoise une valeur équivalente à 5,2 fois son résultat d'exploitation, avant son annonce de l'achat d'un câblo actif en Pennsylvanie, en Floride, au Maryland, au Delaware et en Caroline-du-Sud. On comprend que les investisseurs boursiers réagissent négativement à cette addition.

Autre mesure prisée dans l'industrie, le câblodistributeur québécois paye ainsi près de 5400$ pour chacun des quelque 252 000 abonnés au service de câble de base d'Atlantic Broadband. Ce calcul ne tient pas compte des 156 000 clients de l'internet haute vitesse et de téléphonie, probablement aussi câblés. L'Office d'investissement du RPC paierait pour sa part 4714$ pour chacun des 1,4 million abonnés résidentiels ou commerciaux de Suddenlink.

Time Warner et Wow ont pour leur part allongé respectivement 4412$ et 5844$ par client. Consolidated a déboursé nettement plus, soit 8288$ par compte de câble de SureWest, les services de téléphonie et de l'internet comptant ici davantage dans la balance. Rappelons que Quebecor avait engagé 3150$ par abonné lors de l'acquisition de Vidéotron, il y a 12ans.

Marges bénéficiaires

Les gestionnaires du Régime de pensions du Canada s'intéressent à l'industrie américaine du câble en raison de son potentiel à dégager des marges bénéficiaires et des flux d'encaisse importants. Le président de Cogeco Câble, Louis Audet, voit surtout des acheteurs, avec les mêmes habitudes que les Canadiens, dans des «communautés saines» et «l'économie la plus prospère au monde».

Des analystes considèrent cependant le marché du câble aux États-Unis comme menacé, même dans les cinq États visés par Cogeco. «Les opérateurs de câble aux États-Unis font face à une solide compétition de la part des entreprises de satellite, de téléphone et de l'Internet», note l'analyste de Desjardins qui prévoit un déclin des abonnés du câble.

Atlantic Broadband fait notamment face à une concurrence limitée, mais croissante, poursuit l'analyste d'USB Investment. Le câblo américain est en concurrence principalement avec les fournisseurs de services de télévision par satellite pour la vidéo et avec les compagnies de téléphone (AT&T et Verizon) pour la voix et l'internet haute vitesse. Ces entreprises sont en partenariat pour offrir des trios (image-voix-web). À Miami, Atlantic empiète un peu sur le territoire de Comcast.

«Là où Cogeco voit des occasions significatives de croissance interne, par une plus grande pénétration et l'élargissement de l'offre de services, nous voyons des signes de ralentissement de croissance et de baisses», note M. Huang. Les revenus de la télédistribution, en légère baisse depuis deux ans, ne comptent plus que pour la moitié des revenus de l'entreprise, signale-t-il.

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D'autres réactions négatives

Cogeco Câble n'a pas convaincu la communauté financière du bien-fondé de son projet de prendre pied aux États-Unis avec l'acquisition à fort prix du câblodistributeur Atlantic Broadband, annoncée mercredi. Quelques réactions en vrac:

> Ses actions ont largué 3,9% de leur valeur à 36,40$, hier, après avoir cédé près de 15% mercredi.

> Les agences de notation de crédit DBRS (Toronto) et Fitch (Chicago) ont placé la note de Cogeco Câble sous examen, avec perspectives négatives.

> Seulement 6 des 14 analystes qui s'intéressent à Cogeco Câble en recommandent désormais l'achat, comparativement à une bonne majorité d'entre eux avant avant l'annonce de son achat américain.

> La Financière Banque Nationale abaisse son cours-cible de 51$ à 40$ l'action et en attend désormais une «performance de secteur» plutôt qu'une «surperformance». Pour sa part, l'entreprise indépendante Canaccord Genuity a réduit son prix cible de 55$ à 42$ et a abrogé sa recommandation d'achat.