Si les connaisseurs de football sont partagés sur l'identité du champion du Super Bowl qui sera couronné dimanche, ils savent très bien comment pourrait commencer la prochaine saison de la NFL. Par un lock-out.

> Suivez Vincent Brousseau-Pouliot sur Twitter

Après 24 ans de paix syndicale, la NFL peut mettre le cadenas sur ses stades dès le 4 mars prochain. Un scénario fort probable, car il n'y a pas eu de négociations formelles sur le renouvellement de la convention collective depuis novembre dernier. Mince consolation pour les amateurs de football: on couronnera tout de même un champion du Super Bowl en février 2012, selon les experts consultés par La Presse Affaires.

«Il y aura un lock-out qui durera jusqu'aux matchs pré-saison, peut-être même jusqu'au début de la saison régulière, mais la saison ne sera pas annulée», dit Marc Ganis, président de SportsCorp, une firme de consultants de Chicago qui a travaillé auprès de plusieurs équipes de la NFL. Le professeur de droit sportif Gary Roberts - qui a commencé sa carrière dans le même cabinet d'avocats que Paul Tagliabue, grand patron de la NFL de 1989 à 2006 - fait le même constat. «Le lock-out se terminera au début des matchs réguliers. Les deux parties seraient folles de laisser l'argent d'une saison sur la table. D'un autre côté, elles ne peuvent être trop conciliantes trop rapidement», dit le professeur de l'Université de l'Indiana. «Ça me surprendrait beaucoup que ce soit réglé avant le 3 mars. Il y aura un lock-out et les joueurs n'auront pas beaucoup d'influence à la table des négos avant le mois d'août», dit quant à lui Louis-Philippe Ladouceur, spécialiste des longues remises avec les Cowboys de Dallas et l'un des deux Québécois à évoluer dans la NFL cette saison.

Une cagnotte de 9 milliards

L'enjeu majeur de ces négos? Comment diviser entre les joueurs et les proprios les revenus générés par la NFL, estimés à 9 milliards US durant la saison 2009 mais qui pourraient atteindre 9,8 milliards US la saison prochaine, selon la firme IBISWorld. Actuellement, la NFL soustrait un milliard de ses revenus et donne environ 60% du reste aux joueurs. La Ligue veut pouvoir déduire un autre milliard US de l'équation, notamment pour couvrir les dépenses de financement de ses stades. Le plafond salarial et le partage des revenus resteraient en vigueur.

Marc Ganis pense que les propriétaires ont été les grands perdants de la dernière convention collective signée en 2006. «Tout le monde faisait de l'argent à l'époque, alors les propriétaires s'en sont accommodés, dit-il. Mais la récession a mis en relief les faiblesses de la convention collective.»

La NFL veut aussi augmenter ses revenus de 500 millions US en disputant deux matchs réguliers de plus, qui seront enlevés du calendrier pré-saison. Une proposition qui inquiète Samuel Giguère. «Les propriétaires veulent nous faire travailler davantage pour moins d'argent, dit le receveur de passes de Giants de New York. On observe énormément de commotions cérébrales et ils veulent rajouter deux autres matchs réguliers. L'espérance de vie d'un joueur de la NFL ne dépasse déjà pas 60 ans.»

Pour faire pression sur les propriétaires, les joueurs ont un atout juridique dans leur manche: saborder leur syndicat, ce qui leur permettrait de poursuivre les 32 équipes pour collusion. «C'est une option risquée, car le droit n'est pas clair sur leurs chances de victoire», dit Gary Roberts.

Les propriétaires ont les reins solides

Financièrement, les propriétaires ont les reins nettement plus solides. Ils ont déjà accumulé 900 millions US en cessant les paiements aux régimes de retraite et d'assurance des joueurs. Ils toucheront aussi 4 milliards US pour leurs droits télé l'an prochain. Si la saison est annulée, les réseaux de télé se verront accorder un crédit pour la saison suivante. Les joueurs, eux, ont un fonds de grève d'environ 60 000$ par membre du syndicat.

La NFL perdra 120 millions US s'il n'y a pas d'entente le 4 mars prochain et 1 milliard US si la saison ne commence pas comme prévu en septembre. Après, ce seront des pertes de 400 millions US par week-end de saison régulière annulé. La Ligue n'a pas évoqué la possibilité de faire appel à des briseurs de grève comme lors du dernier conflit de travail en 1987. «Légalement, c'est possible, mais c'est compliqué sur le plan logistique et ça ne donnerait rien de bon à la table de négociations», dit Gary Roberts.

Malgré toute l'incertitude entourant la prochaine saison, sa cinquième dans la NFL, Samuel Giguère espère porter les couleurs des Giants en septembre. «On veut jouer, dit l'athlète de 25 ans, qui gagne entre 100 000$US et 130 000$US par saison dans l'équipe d'entraînement des Giants. Je suis un peu inquiet. J'ai mis de l'argent de côté en vue d'un arrêt de travail, mais je ne pense pas qu'on va en arriver à annuler la saison.»

«J'ai planifié mes finances comme s'il n'y avait pas de saison l'an prochain, dit Louis-Philippe Ladouceur, qui a gagné environ 625 000$ à sa sixième saison avec les Cowboys. Mais je ne pense pas que les propriétaires annuleront la saison. Plein de grandes entreprises comme Budweiser, Fox, CBS et Verizon font des profits avec la NFL et ne seraient pas trop contentes de voir la saison annulée.»