On attendait cela en 2009, puis en 2010. Ce sera finalement l'an prochain que l'économie américaine empruntera sans détour la voie d'une reprise soutenue, bien qu'encore lente. Cela va rétablir quelque peu le commerce extérieur du Canada et permettre à ses consommateurs de ralentir leurs achats effrénés et de se préparer à une hausse du loyer de l'argent. Les grands déséquilibres internationaux ont cependant encore le potentiel de brouiller les cartes.

Ça change pas le monde, mais...

L'économie américaine va entrer en expansion l'an prochain et elle pourra accélérer sa croissance à mesure que les entreprises se remettront enfin à embaucher en cours d'année.

Faisant preuve d'un optimisme prudent après une année 2010 qui n'a pas manqué de mauvaises surprises, les quatre experts consultés par La Presse pour la 35es Boules de cristal s'attendent à une croissance réelle moyenne de 2,5% au sud de la frontière.

Cela correspond à peu près au potentiel actuel de l'économie américaine qui porte encore bien des stigmates de la dernière récession, dans le manufacturier et la construction résidentielle en particulier.

La vitesse de croisière sera plus lente durant l'hiver, surtout si le Congrès n'arrive pas à prendre une décision à propos des épineuses questions des baisses d'impôt de l'administration Bush qui viennent à terme le 31 décembre et de l'extension des indemnités fédérales d'assurance-chômage dont dépendent désormais des millions de ménages.

«Quand on ne sait pas combien on va payer d'impôt ou quel sera son revenu, on retarde la rénovation de sa cuisine», explique Stéfane Marion, économiste en chef à la Banque Nationale.

En 2011, ce n'est pas tant la croissance du PIB dont il faut se réjouir (2,5% sera plus faible qu'en 2010), c'est avant tout le bond de la demande intérieure. Elle devrait s'élever à 3,3%, prédit-il, la meilleure avancée en quatre ans.

Maurice N. Marchon, professeur titulaire à HEC Montréal souligne pour sa part que le chiffre de 2,5% masque une réalité: l'économie s'améliorera toute l'année. «On pourrait voir une croissance annualisée de 4% au quatrième trimestre.»

Les entreprises américaines ont étiré au maximum les gains de productivité et la semaine de travail. Elles devront se résoudre à embaucher davantage. Tout comme M. Marion, il s'attend à au moins 2,2 millions de nouveaux emplois.

Sans embrasser cet optimisme, François Dupuis, économiste en chef chez Desjardins, juge encourageante la rentabilité actuelle des entreprises et la restructuration industrielle en cours dans plusieurs secteurs. «La création d'emplois se manifestera surtout en fin d'année, juge-t-il.

Il est surtout préoccupé par les problèmes structurels issus de la récession et qui vont perdurer encore des années durant: l'épargne des ménages reste faible tout comme le crédit tandis qu'il faudra bien s'attaquer au déficit budgétaire américain.

Carlos Leitao, économiste en chef à la Banque Laurentienne, évalue aussi que nous sommes face à une conjoncture complexe. Cela crée chez lui un inconfort plus grand que de coutume à défendre son scénario bec et ongles. «2,5% est peut-être un taux de croissance un peu faible», admet-il.

La toile de fond internationale n'est pas facile à décrypter avec, d'une part, des économies émergentes aux prises avec le plein emploi, la surchauffe et une inflation rampante et, d'autre part, des économies avancées engluées dans des déficits budgétaires abyssaux et calées par un système bancaire aux pieds d'argile.

Chose certaine, notre quartet ne tarit pas d'éloges pour la conduite de la politique monétaire américaine par la Réserve fédérale américaine qui fait tout pour écarter les risques de déflation.

Il est cependant divisé sur la durée et les effets de la deuxième ronde de détente monétaire. Six cents milliards suffiront-ils?

Carlos Leitao s'attend à plus. Stéfane Marion se demande où atterrit finalement cet argent puisque les entreprises américaines investissent beaucoup à l'étranger. «L'objectif de la Fed, c'est avant tout de gérer la courbe des taux obligataires», précise-t-il.

L'expansion tranquille du Canada

La demande intérieure aura limité les dégâts de la récession et permis une reprise grand V de l'économie canadienne. Au prix cependant d'un endettement des ménages qui devront ralentir leurs dépenses.

Voilà pourquoi nos experts s'attendent à une croissance un peu plus lente de l'économie canadienne. D'autant plus que le rétablissement programmé de l'équilibre budgétaire signifie la fin des plans de relance jumelée à une ponction fiscale accrue. En font foi les deux augmentations d'un point de pourcentage de la TVQ en 2011 et 2012 au Québec et l'avalanche de taxes de l'administration Tremblay.

«Le consommateur doit ralentir d'autant plus qu'il existe peut-être une bulle spéculative sur le prix des maisons», juge Maurice Marchon.

Selon Stéfane Marion, la demande intérieure va suivre l'inverse du mouvement américain. De 4% cette année, elle va diminuer à 2,6% l'an prochain.

À cela s'ajoute un petit problème. Comme toutes les autorités monétaires, la Banque du Canada est paralysée tant que la Fed n'aura pas indiqué qu'elle met fin à sa détente quantitative.

Cela exerce des pressions à la baisse sur les taux d'intérêt et encourage l'étirement du crédit.

«Si la Fed met fin à sa détente quantitative, alors la Banque du Canada va s'empresser de normaliser ses taux», précise Carlos Leitao.

Comme il ne voit que 50 centièmes d'augmentation du taux directeur, il juge que ce ne sera pas de sitôt alors que Stéfane Marion s'attend à une majoration du taux directeur canadien beaucoup plus substantielle.