L'annonce par la Réserve fédérale américaine de son taux directeur et surtout sa justification demain ne réservent ni attente ni surprise. La totalité des économistes s'attendent à ce que son Comité de politique monétaire reconduise le taux cible de financement à un jour dans une fourchette oscillant de zéro à 0,25%.

Les autorités monétaires réitéreront aussi qu'elles entendent le maintenir «à un niveau exceptionnellement faible pour une période prolongée», compte tenu de la fragilité inhérente de la reprise économique américaine.

Cela pourrait se prolonger bien au-delà de la fin juin, date qui correspond à l'engagement de la Banque du Canada de garder son taux directeur à 0,25%. Ce, en dépit des beaux chiffres suggérant que la croissance américaine était robuste l'automne dernier.

«La poussée de croissance au quatrième trimestre, due surtout à la correction des stocks, n'aura pas stimulé la faiblesse tendancielle de la demande intérieure finale», souligne Jan Hatzius, économiste en chef pour les Amériques chez Goldman Sachs dans une note aux clients.

L'engouement retrouvé des ménages pour le magasinage en fin d'année fera long feu, si le marché du travail ne se redresse pas véritablement. L'embauche d'un million de travailleurs temporaires au printemps afin de mener le recensement n'éblouira assurément pas les autorités monétaires, bien au fait que sept millions d'emplois ont été détruits durant la récession.

Cela crée beaucoup de capacités de production excédentaires, encore qu'il reste difficile de distinguer la proportion en attente d'une relance par une reprise de la demande et celle détruite définitivement par des choix de délocalisation ou de restructuration.

À la différence de la mission de la Banque du Canada qui consiste à contrôler le rythme d'inflation aux environs de 2% et à assurer la stabilité financière, celle de la Fed vise en plus le plein emploi.

Durant les épisodes passés de récession, elle a donc attendu un indéniable redressement du marché du travail avant d'amorcer un cycle de resserrement monétaire.

Le taux de chômage américain se situait à 10,0% le mois dernier, contre 8,5% au Canada. Plus le taux des demandeurs d'emploi est élevé, moins il reflète clairement la détresse des travailleurs. Beaucoup désertent les rangs de la population active en abandonnant la recherche active d'un emploi. Le taux d'activité des Américains âgés de 16 ans et plus est de 64,6%, «le plus faible depuis le milieu des années 80», note Michael Gregory, économiste principal chez BMO Marchés des capitaux. Au Canada, le taux de participation des gens de 15 ans et plus s'élève à 67,2%.

Plus tard le raffermissement du marché du travail et plus faibles seront les pressions inflationnistes. Fait assez peu usité, les pressions s'évanouissent dans le secteur des services à cause de l'affaissement des coûts du logement. Il est ainsi hautement probable que la Fed répète que les pressions et les attentes inflationnistes demeurent modestes.

Bien des experts spéculent sur la stratégie qu'adopteront les autorités monétaires pour ralentir la planche à billets. Leurs multiples programmes d'achat de titres de dettes ou de garanties de dettes émis par le Trésor ou par des organismes en tutelle comme les assureurs de prêts hypothécaires Freddie Mac et Fannie Mae totalisent 1750 milliards. La Fed a déjà annoncé son intention de ne pas les renouveler, à mesure que les sommes visées sont atteintes ou qu'est arrivée leur échéance.

En principe, presque tout devrait avoir été complété au printemps. Les difficultés persistantes du marché des hypothèques commerciales, qui menacent l'existence même de plusieurs banques régionales, pourraient amener cependant la Fed à prolonger certains programmes ou les ajuster quelque peu.

Mentionnons enfin que trois nouveaux membres votants entrent au Comité de politique monétaire. «Sa composition paraît un peu moins accommodante, note Milan Mulraine, stratège chez Valeurs mobilières TD. Cependant, nous nous attendons à ce que le Comité fasse front commun et que les risques de dissension demeurent bien faibles.»