À Wall Street, les rémunérations des banquiers sont un sujet sensible: si l'opinion américaine s'indigne de leur niveau élevé, courtiers et traders dénoncent une stigmatisation parfois injuste et craignent qu'une limitation des salaires n'entraîne une fuite des talents.

À l'heure de la sortie des bureaux, les employés du New York Stock Exchange (NYSE), la Bourse de New York, pressent le pas. Beaucoup refusent de commenter les mesures annoncées par le gouvernement la semaine dernière pour limiter les plus gros salaires dans les entreprises renflouées par l'État. Mais quelques-uns laissent libre cours à leur énervement.

«Si vous limitez les salaires» des dirigeants de banques comme Bank of America ou Citigroup, «il y aura une fuite des talents de ces entreprises qui doivent beaucoup d'argent à l'État. Or, on a besoin de gens talentueux pour avoir une entreprise profitable», lance Joe, 52 ans, qui refuse de donner son nom de famille et travaille dans la finance depuis les années 1980.

«Je comprends qu'on n'octroie pas de bonus à ceux qui sont à l'origine des pertes, ils devraient même être virés», mais «punir ceux qui font bien leur travail, c'est idiot», ajoute-t-il.

«Ceux qui ont fait perdre de l'argent à leur banque ne devraient pas recevoir de bonus, mais quand une entreprise perd de l'argent à cause de l'économie et pas à cause de ses dirigeants, on a besoin de ces derniers pour passer les moments difficiles», renchérit Michael Sabanos, 23 ans et seulement trois mois d'expérience à Wall Street.

Or «si on ne les paie pas correctement, ils iront voir ailleurs», ajoute ce jeune homme qui travaille au département des informations financières du Nyse.

«Si vous offrez 100 000 dollars par an pour diriger une grande banque, vous n'aurez aucun bon candidat. Ces gens gagnent 10 à 15 millions par an», poursuit David, trader de Merrill Lynch, ex-fleuron de Wall Street tombé sous la coupe de Bank of America au plus fort de la crise.

Joe va jusqu'à citer le cas d'Andrew Hall, patron de Phibro, division de courtage pétrolier que Citigroup vient de vendre à Occidental Petroleum.

La révélation de la rémunération de M. Hall, soit 100 millions de dollars en 2008 alors que Citigroup a reçu 45 milliards de dollars d'aides fédérales, avait fait scandale.

«Les 100 millions de dollars de sa rémunération, ce n'est qu'une petite portion du milliard qu'il a fait gagner à sa banque», justifie Joe.

Il «faut que le grand public comprenne à quel point ces hommes ont travaillé dur pour arriver là où ils sont. Ils ne font pas des horaires de bureau, il faut voir à quoi ressemblent leurs journées», insiste Michael Sabanos.

John, un technicien du Nyse qui ne veut pas non plus donner son nom de famille, est nettement moins empathique: «ces soi-disant dirigeants ont perdu des milliards, pourquoi faudrait-il les payer en plus? Il faut bien que quelqu'un assume la responsabilité» des pertes.

Il est rejoint sur cette ligne par Frank, patron d'une petite société de courtage qui veut lui aussi rester anonyme et trouve «normal que le gouvernement impose des limites aux salaires des entreprises ayant fait appel à l'argent du contribuable».

L'État n'a en revanche pas à s'immiscer dans les rémunérations des banques qui n'ont pas fait appel à lui ou ont remboursé les aides, selon lui, même s'il juge légitime que leur prise de risque soit encadrée.

Le patron de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, a demandé aux banques la semaine dernière de revoir leur système de rémunération de façon à limiter la prise de risque.