La santé retrouvée de grandes banques va à nouveau poser à l'administration américaine la question des primes de Wall Street, un sujet piége que l'exécutif va vouloir prendre avec des pincettes, notent des experts du secteur.

Si l'administration du président Barack Obama «en fait une grosse affaire du point de vue politique, elle va devoir prendre des mesures dont elle n'a pas envie», note Douglas Elliott, de la Brookings Institution, alors que les précédents appels à plafonner ces primes ont été rejetés par Wall Street.

Afin de soutenir la progression des sociétés financières sans provoquer la colère d'Américains toujours englués dans les conséquences de la crise économique, le gouvernement «préfèrerait ne pas passer trop de temps sur cette question», explique M. Elliott à l'AFP.

Le géant de Wall Street Goldman Sachs a dépassé jeudi dernier toutes les attentes en publiant un bénéfice de 3,19 milliards de dollars au troisième trimestre, trois fois plus que pour la période correspondante de 2008.

Son concurrent JPMorgan Chase a également vu son résultat trimestriel s'établir à 3,6 milliards de dollars. Même Citigroup, pourtant en difficulté, a pu s'enorgueillir d'un bénéfice de 101 millions de dollars.

Dans le même temps, le Wall Street Journal a estimé que les 23 premières banques et sociétés financières américaines s'apprêtaient à verser 140 milliards de dollars en primes à leurs employés au titre de 2009, soit davantage qu'en 2007, année record.

«La question des primes est l'une des dernières qui peut beaucoup fâcher les gens», souligne M. Elliott, alors que nombre de ces institutions financières ont été sauvées par l'argent du contribuable. Pour lui, tant l'exécutif que les banques veulent «payer leurs employés pour qu'ils restent motivés» sans créer une bronca dans l'opinion.

Le secrétaire général de la Maison Blanche, Rahm Emanuel, a indiqué dimanche comprendre que de grosses primes provoquent l'ire des Américains et souligné que les banquiers devaient jouer un rôle-clé pour rétablir la confiance dans le système financier.

«Ils sont responsables vis-à-vis de tout le système. Et cela commence par ne pas s'opposer au système de régulation et aux réformes nécessaires pour protéger les consommateurs, les propriétaires et les autres», a déclaré M. Emanuel à CNN.

Alors que le taux de chômage aux Etats-Unis flirte avec les 10%, au plus haut depuis 26 ans, le directeur financier de Goldman Sachs, David Viniar, a affirmé, dans une tentative de déminer le débat, que son entreprise «faisait très attention à ce qui se passe pour les autres gens».

Mais pour Robert Weissman, président du groupe de défense des consommateurs Public Citizen, Wall Street «se moque» des Américains avec ces primes. Pour lui, les sociétés sauvées par l'argent public «recommencent exactement les mêmes jeux spéculatifs (...) qui ont fait imploser le système».

Dès sa prise de fonctions en janvier, le président Barack Obama avait fortement critiqué les géants de Wall Street qui versaient des primes au moment où l'Etat se portait garant de leurs dettes.

Mais Don Lindner, spécialiste des ressources humaines au sein de la société à but non lucratif Worldat Work, regrette que Goldman Sachs, qui «se comporte bien dans une économie difficile (...) soit critiquée pour (ses) salaires», alors que des primes découlent sa capacité à recruter les meilleurs éléments.

«Imposer des règles strictes sur la rémunération revient à s'engager sur une pente très glissante, car dans (ce secteur), une telle mesure pourrait être dévastatrice», dit-il.