Mardi après-midi, dans un immeuble anonyme de Midtown, en plein coeur de Manhattan. Une quinzaine de jeunes adultes boivent les paroles de leur instructeur, qui s'affaire à leur expliquer les particularités des différents alcools: kahlua, ouzo, whisky, tequila. Tous espèrent devenir «barmans professionnels» après leur formation dans cet institut spécialisé.

Le New York Bartending School fait de très bonnes affaires ces jours-ci. Excellentes mêmes, depuis que les banques d'affaires et fonds d'investissement de Wall Street ont commencé à licencier à pleines portes l'automne dernier, après la faillite de Lehman Brothers.

«On est très occupés depuis six mois, dit en souriant Tom Sisson, directeur de l'école. On a des gens qui étaient chez Lehman, chez Merrill Lynch...»

Dani Etheart, elle, était gestionnaire de projets informatiques chez Citigroup. Elle a été congédiée en octobre dernier, après 13 ans de service. La trentenaire n'exclut pas de travailler comme consultante «quand l'économie va reprendre», mais d'ici là, elle veut devenir une experte du cocktail.

«Dans les derniers mois chez Citigroup, l'environnement de travail était devenu malsain, raconte-t-elle. Ça a eu un impact sur ma santé. Je veux maintenant faire un métier où je pourrai avoir du plaisir. Travailler dans un beau lounge.»

Des histoires comme celle de Dani Etheart, on en compte des dizaines de milliers aujourd'hui à New York. L'industrie financière de la ville est exsangue. Quelque 30 000 emplois ont déjà été supprimés à Wall Street, d'après le département du Travail de l'État de New York. Plus encore, selon d'autres estimés. Et la purge n'est pas terminée.

Des banques d'affaires, comme Bear Sterns et Lehman Brothers, sont tombées en 2008. D'autres continuent d'enregistrer des milliards de pertes trimestre après trimestre. Les fonds spéculatifs (hedge funds), pour leur part, ferment à un rythme effarant.

Dans ce climat, l'embauche est rare dans l'industrie financière new-yorkaise. Et la concurrence, féroce pour chaque poste disponible.

La Presse Affaires a rencontré à New York une dizaine de travailleurs de la finance licenciés au cours des derniers mois. Certains sont au bord du désespoir, d'autres, beaucoup plus optimistes. Surtout, la plupart sont encore estomaqués par la vitesse - et la violence - de l'écroulement de Wall Street.

Plusieurs de ces professionnels ressentent une certaine forme d'humiliation, eux qui n'avaient jamais été congédiés de leur vie et se voyaient grimper de façon ininterrompue l'échelle sociale. Ils doivent aujourd'hui mettre leur orgueil de côté et chercher du boulot dans des sphères parfois sans aucun lien avec la finance. Plusieurs retourneront aux études.

Pour ces jeunes loups, jusqu'à récemment très bien payés sans être millionnaires, 2009 marque aussi la fin de la «grosse vie» new-yorkaise. Oubliées les virées incessantes dans les clubs et restos branchés. L'heure est à l'austérité. À l'introspection.

Certains des «ex» de Wall Street que nous avons rencontrés ont demandé à garder l'anonymat, par gêne ou à cause de l'illégalité de leurs nouvelles activités. Leurs témoignages jettent néanmoins un nouvel éclairage sur la façon dont est vécue la présente crise à New York. De l'intérieur.

Un coup dur pour tout l'État

La déconfiture de Wall Street risque de faire disparaître 225 000 emplois d'ici deux ans dans l'État de New York, en plus de priver le gouvernement de 6,5 milliards de dollars en recettes fiscales. C'est ce qu'a estimé Thomas DiNapoli, contrôleur financier de l'État, dans un rapport publié à la fin novembre. L'industrie financière revêt une importance capitale pour la santé de la région, insiste-t-il. Ainsi, pour chaque emploi perdu en finances, deux disparaîtront dans d'autres secteurs à New York, et 1,3 dans le reste de l'État, prévoit M. DiNapoli.