Les automobilistes québécois pestent constamment contre le prix trop cher de l'essence. C'était vrai hier, ce l'est encore aujourd'hui, mais est-ce la faute de la Régie de l'énergie ?

Non, selon le professeur de HEC Montréal Pierre-Olivier Pineau. Bien qu'il soit prêt à reconnaître que la méthode de calcul de la Régie surestime le prix minimal estimé à la pompe de 6 à 8 cents le litre ces jours-ci, la Régie ne surestime d'aucune façon le prix de vente de l'essence au détail, selon lui.

Hier, la nouvelle selon laquelle les prix à la pompe seraient gonflés jusqu'à 20 cents le litre en raison d'une erreur de calcul de la Régie de l'énergie a fait bondir les politiciens à l'Assemblée nationale. 

« Je m'attends à ce que rapidement la formule soit modifiée. Ils [la Régie de l'énergie] ont reconnu que la formule devait être modifiée, pour que les consommateurs du Québec paient le juste prix », a déclaré le ministre de l'Énergie et des Ressources naturelles Jonatan Julien à la presse parlementaire.

À quel prix se fier?

L'argument derrière les prix gonflés est que le prix du pétrole albertain (WCS, pour Western Canada Select) est bien moins élevé que le prix du Brent - environ 28 $US au lieu de 60 $US -, sur lequel se base la Régie pour calculer son prix minimum.

Aux yeux du professeur, la Régie devrait sans doute se référer au prix américain (West Texas Intermediate, ou WTI) du baril dans l'estimation du prix minimum de l'essence plutôt qu'au prix européen (Brent) comme c'est le cas actuellement.

Il est vrai qu'historiquement, le Québec s'approvisionnait en pétrole en provenance de la mer du Nord et de l'Algérie. Or, ces temps-ci, environ 95 % du pétrole de nos raffineries provient des États-Unis et de l'Ouest canadien.

Selon les chiffres de Statistique Canada, cités dans un courriel de l'Association canadienne des carburants, la proportion de pétrole alimentant nos raffineries en provenance de l'Ouest canadien tournerait autour de 50 %. Mais cette proportion varie d'un mois à l'autre.

Il y a une différence de 5 à 10 $US entre le prix américain (autour de 51,50 $US) et celui de la mer du Nord (60,14 $US). Un écart de 8 $US le baril revient à 0,065 $CAN au litre, calcule le professeur Pineau.

Deux éléments différents

Pour le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie, cette légère surestimation du prix minimum estimé par la Régie ne se traduit pas par un gonflement du prix de l'essence à la station-service.

« Ce serait le cas si les prix à la pompe étaient collés sur le prix minimum estimé, mais ce n'est pas le cas. Les détaillants vendent à peu près toujours à un prix plus élevé que le prix minimal estimé », selon Pierre-Olivier Pineau.

La réglementation entourant le prix minimum de l'essence n'existe pas pour protéger le consommateur, rappelle l'universitaire, mais pour protéger les petits détaillants indépendants.

Ce n'est pas parce que le prix minimum baisse que les prix au détail vont faire pareil, avance-t-il. Ça dépendra des conditions du marché. Pédagogue, M. Pineau donne l'exemple de la bière, elle aussi soumise à un prix minimum. « Si le prix minimum de la bière devait baisser au Québec, rien ne laisse présager que le Centre Bell va diminuer le prix de sa bière à 15 $. »

Carl Montreuil, vice-président de l'Association canadienne des carburants, arrive à la même conclusion : le coût du brut et le prix de l'essence au détail sont deux choses complètement différentes. « Peu importe qu'une raffinerie paie 50 $ ou 5 $ le baril, le prix de ses produits sera déterminé par le marché et rien d'autre, le marché étant le NYMEX à New York. »

Pour M. Pineau, la Régie ne peut pas prendre le prix albertain comme référence parce que la valeur de ce pétrole, une fois acheminé à Montréal, équivaut au prix du pétrole américain.

« Le prix albertain est faible pour tenir compte des frais de transport pour l'acheminer vers les marchés. Rendu à Montréal, le pétrole ne vaut pas le prix du WCS, il vaut le prix du West Texas Intermediate », a-t-il répété.