Le gouvernement canadien examine ses options pour réagir à l'imposition de droits, par Washington, sur le bois d'oeuvre canadien, mais il devra vraisemblablement attendre à l'an prochain avant de pouvoir utiliser la voie des tribunaux.

S'il ne sait pas encore quel outil sera le sien, le ministre fédéral des Ressources naturelles, Jim Carr, assure cependant qu'Ottawa ne restera pas les bras croisés.

Dans les querelles passées sur le bois d'oeuvre, opposant le gouvernement canadien au voisin américain, Ottawa s'est parfois tourné vers l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et a aussi utilisé le chapitre 19 de l'ALENA.

Le gouvernement devra toutefois attendre de savoir combien exactement les États-Unis réclameront à l'industrie canadienne avant de lancer un recours. Une information que les fonctionnaires du gouvernement n'attendent pas avant décembre ou janvier.

«Nous avons obtenu gain de cause dans le passé et nous obtiendrons gain de cause encore», a déclaré le ministre Carr au cours d'une conférence de presse à Ottawa, mardi après-midi.

«Nous allons lutter contre cette décision devant les instances appropriées», a renchéri sa collègue Diane Lebouthillier, ministre du Revenu national.

Ces droits compensatoires ne sont qu'un nouveau chapitre dans le litige du bois d'oeuvre.

Les États-Unis pourraient également décider d'imposer des droits antidumping en juin qui s'ajouteraient à ceux annoncés lundi soir. Le département du Commerce américain prendra ensuite une décision finale sur le total des droits, ce qui pourrait survenir au début du mois de septembre ou plus tard.

Trois avenues seront alors possibles: une entente négociée entre les gouvernements canadien et américain, un retrait-surprise des droits compensatoires par les Américains ou un nouveau recours devant les tribunaux.

La ministre Lebouthillier a exprimé candidement sa frustration devant cette querelle qui se répète «depuis 30 ans», se plaignant de vivre «le jour de la marmotte».

«Quand on regarde au cours des 30 dernières années, et bien on a pas mal mis nos oeufs dans le même panier et on se retrouve toujours dans la même situation. (...) Un coup que l'accord est terminé, il faut recommencer le processus de négociation. Et on est toujours en train de faire exactement les mêmes demandes, mais aussi les mêmes erreurs», s'est-elle plainte, plaidant pour la nécessité de diversifier les marchés pour ce produit.

Lui faisant écho, le ministre Carr a souligné que son collègue au Commerce international, François-Philippe Champagne, est justement en visite en Chine, pays où il ira lui-même en juin.

Le ministre Carr a également annoncé qu'il convoquait, cette semaine, le groupe de travail fédéral-provincial sur le bois d'oeuvre. Il a réitéré qu'un accord entre le Canada et les États-Unis sur le bois d'oeuvre était toujours possible.

Une discussion entre le premier ministre Justin Trudeau et ses homologues provinciaux était prévue mardi en fin d'après-midi.

Plus tôt dans la journée, de passage à Kitchener, le premier ministre Trudeau a mis en garde contre un «épaississement» de la frontière, affirmant que les deux pays en souffriraient.

«Notre économie est grandement liée à celle des États-Unis, mais ce n'est pas une relation à sens unique», a tenu à rappeler M. Trudeau.

«Il y a des millions de bons emplois américains qui dépendent d'une circulation fluide de biens, de services et de gens», a-t-il réitéré.

«Vous ne pouvez pas épaissir cette frontière sans nuire à des gens des deux côtés», a-t-il averti.

Le département américain du Commerce a imposé mardi des droits compensatoires sur les exportations canadiennes. Ceux-ci vont de 3 à 24 %, selon la compagnie. Les plus petits joueurs de l'industrie se voient imposer un tarif de 19,88 %.

Les sorties du premier ministre et de ses deux ministres n'ont pas suffi à l'opposition néo-démocrate.

«La seule chose que le gouvernement Trudeau a à offrir, ce sont les programmes (de garanties de prêts) existants. Ça, c'est la preuve qu'ils n'ont rien vu venir», a accusé le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Thomas Mulcair.

Le chef adjoint du Parti conservateur, Denis Lebel, a également dénoncé l'inaction du gouvernement. «Le gouvernement Trudeau a mis en veilleuse l'une des plus importantes négociations commerciales de l'histoire du Canada», a-t-il écrit dans un communiqué rappelant que le dernier conflit du bois d'oeuvre a été réglé alors que les conservateurs étaient au pouvoir.

Réactions de l'industrie

Ces droits compensatoires sont «injustifiés et sans fondement», estime l'Association des produits forestiers du Canada qui craint des pertes d'emplois. Elle appuie «totalement» la position du gouvernement fédéral pour obtenir une «structure commerciale juste et équitable».

Des centaines de Canadiens risquent maintenant de se retrouver au chômage, a également indiqué le Syndicat des Métallos. Il demande au gouvernement fédéral de mettre l'emphase sur la négociation d'une entente avec les États-Unis sur le bois d'oeuvre pour mettre fin au litige.

«Le Canada ne doit pas se laisser intimider», a affirmé le porte-parole de Produit forestiers Résolu, Seth Kursman. L'entreprise domine l'industrie au Québec et en Ontario.

«Nous sommes déçus de l'imposition de ces tarifs préliminaires et nous continuons de croire que l'Ontario et le Québec doivent obtenir un accès libre au marché américain», a-t-il renchéri.

L'industrie forestière du Québec est doublement pénalisée par les nouveaux tarifs américains sur le bois d'oeuvre, déplore le maire de Saint-Félicien, Gilles Potvin.

«Ça nous met vraiment dans une situation difficile et les dernières petites entreprises familiales qui demeuraient dans la course vont être pénalisées encore davantage, a-t-il souligné. Elles n'auront pas la capacité de supporter cette nouvelle pression-là.»

Ces tarifs s'ajouteront aux frais associés au régime forestier en vigueur au Québec depuis 2013, a expliqué M. Potvin, qui est également porte-parole du comité de la forêt pour l'Union des municipalités du Québec (UMQ). En vertu de ce régime, 25 % de l'approvisionnement en bois est mis aux enchères.

L'UMQ dénonce vigoureusement la décision du département américain du Commerce et exige un coup de pouce du gouvernement fédéral le plus rapidement possible sous la forme de garanties de prêts pour les entreprises touchées.

«En cette belle année du 150e (de la Confédération) où on fête ce beau grand pays-là qui est venu au monde par la forêt, entre autres, - c'est l'industrie forestière qui a été un vecteur de développement du Canada - est-ce qu'on ne pourrait pas avoir un peu de considération de la part de notre premier ministre?», a-t-il demandé.

Des représentants du comité de la forêt de l'UMQ s'étaient déplacés à Ottawa en février pour sensibiliser les parlementaires, mais M. Potvin dit avoir senti «beaucoup d'indifférence» de la part des députés libéraux.

L'UMQ juge que l'impact financier de la décision américaine pourrait dépasser les 200 millions. Gilles Potvin craint un ralentissement économique dans les régions ressources. Plus de 220 municipalités québécoises vivent du secteur forestier.

Le Conseil de l'industrie forestière du Québec évalue qu'un tarif de 20 % coûterait entre 200 et 250 millions aux entreprises de la province.

Le Conseil du patronat du Québec demande au gouvernement fédéral de «passer à la vitesse supérieure» et de compléter le programme d'aide annoncé par le gouvernement québécois mardi après-midi.