Le Canada, sixième producteur mondial de pétrole, doit «mettre un terme progressivement» à l'exploitation des sables bitumineux d'Alberta et cesser sa «dépendance» aux hydrocarbures, a plaidé vendredi le premier ministre Justin Trudeau.

«On ne peut pas fermer (les mines) de sables bitumineux demain. On doit y mettre un terme progressivement», a déclaré le dirigeant libéral lors d'une assemblée publique en Ontario.

«Nous devons préparer la transition pour rompre notre dépendance aux énergies fossiles», a-t-il ajouté, tout en soulignant que «cela prendra du temps».

Il répondait à une question portant sur sa décision, fin novembre, d'autoriser l'augmentation de la capacité de deux oléoducs dans l'ouest du pays. Leur modernisation va accroître de près d'un million de barils par jour la capacité à l'export du pays.

«On ne peut pas choisir entre l'environnement et l'économie», a affirmé en outre M. Trudeau, convaincu de pouvoir concilier la lutte contre le réchauffement climatique et la croissance économique.

Engagé à réduire les émissions canadiennes de gaz à effet de serre conformément à l'Accord de Paris, ratifié par le Canada, M. Trudeau a ainsi annoncé cet automne une taxe nationale sur le carbone effective en 2018, avec l'appui de l'Alberta, province où est concentrée l'industrie pétrolière.

L'opposition conservatrice a immédiatement condamné les propos du premier ministre. «Si M. Trudeau veut fermer les sables bitumineux d'Alberta, et ma ville d'origine, qu'il soit averti: il devra d'abord me passer dessus et sur les quatre millions d'habitants de l'Alberta», a lancé dans un communiqué Brian Jean, député conservateur de Fort McMurray, capitale pétrolière du pays.

Les sables bitumineux sont décriés pour le coût économique et environnemental de leur extraction. Présent sous forme sablonneuse dans le sous-sol de la forêt boréale, le pétrole est produit au terme d'un long processus polluant et énergivore.

Ce pétrole n'est rentable que si le cours mondial du baril est élevé. En octobre et en décembre, deux géants des hydrocarbures, Shell puis Statoil, ont d'ailleurs décidé de se désengager des sables bitumineux canadiens.

Là pour rester, dit la PM albertaine

La première ministre de l'Alberta, Rachel Notley, affirme que l'industrie pétrolière de sa province est là pour rester.

Mme Notley a partagé une vidéo sur les réseaux sociaux après que le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, eut été questionné sur l'élimination progressive de l'exploitation des sables bitumineux lors d'une assemblée publique à Peterborough, en Ontario.

M. Trudeau a dit à son public qu'il était impossible de choisir entre ce qui est le mieux pour l'économie et ce qui est le mieux pour l'environnement.

Le gouvernement ne peut pas déclarer un moratoire sur les sables bitumineux du jour au lendemain, selon M. Trudeau, mais ceux-ci doivent être de moins en moins utilisés pour permettre au Canada de poursuivre sa transition vers les énergies vertes.

Sa réponse lui a attiré l'ire des Albertains, dont le marché du travail a été secoué par la chute du prix du pétrole.

Mme Notley n'a pas mentionné directement M. Trudeau, mais elle s'est faite rassurante en rappelant que de nouveaux projets d'oléoducs avaient été approuvés par le gouvernement fédéral, ajoutant que les sables bitumineux allaient renforcer l'économie de la province pour les générations à venir.

La première ministre a dit travailler à faire de l'Alberta «le producteur de pétrole et de gaz le plus progressiste et le plus durable au monde». Le gouvernement néo-démocrate a présenté un projet de loi pour fixer un plafond de 100 mégatonnes de gaz à effet de serre émis annuellement par l'industrie des sables bitumineux.

Le chef de l'opposition, Brian Jean - dont la circonscription est située à Fort McMurray, en plein coeur des sables bitumineux - soutient que cette industrie fournit des milliers d'emplois bien rémunérés et qu'elle permet de soutenir les services gouvernementaux à travers le pays.

«Si M. Trudeau veut fermer les sables bitumineux d'Alberta et de ma ville natale, qu'il soit averti: il aura d'abord affaire à moi et à quatre millions d'Albertains», a déclaré le chef du Wildrose par communiqué.

Le chef intérimaire des progressistes-conservateurs, Ric McIver, s'est dit déçu que le premier ministre s'en prenne à la source de «milliers d'emplois qui permettent à des Canadiens à travers le pays de payer leur hypothèque».

Il a également fait allusion à la récente visite de l'actrice Jane Fonda en reprochant à M. Trudeau de «se ranger du côté des célébrités hollywoodiennes».

Le chef libéral, David Swann, s'est montré plus diplomate en invitant Justin Trudeau à préciser ses propos.

«Dans le climat économique actuel à l'international, l'industrie n'a pas besoin d'encore plus d'incertitude quant à son avenir, a-t-il déclaré. Nous avons besoin que notre premier ministre soutienne l'industrie, le moteur économique du pays, mais aussi qu'il s'exprime clairement.»

«Étant donné les récentes approbations d'oléoducs par Justin Trudeau, il devrait avoir droit au bénéfice du doute et à une chance de clarifier ses remarques», a ajouté M. Swann.

- Avec La Presse canadienne