Le gouvernement du Québec dévoilera cet automne ses exigences quant à la teneur minimale en biocombustibles que les carburants devront intégrer dans les années à venir. Cette mesure visera à contribuer à l'effort provincial de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 37,5% d'ici 2030. Cette obligation pourrait favoriser l'essor de la filière des biocarburants. Suffisamment pour être efficace?

«Le Québec possède le potentiel pour bien faire, mais l'absence de norme provinciale sur la teneur minimale en biocarburants freine les investissements», affirme Jean-François Samray, le PDG de l'Association québécoise de la production d'énergie renouvelable (AQPER).

La norme fédérale fixe à 5 % la part d'éthanol dans l'essence et à 2% la part de carburant renouvelable dans le diesel. Mais ces pourcentages s'appliquent aux carburants vendus à l'échelle canadienne, sans norme détaillée pour chaque province.

«À son tour, le Québec compte adopter de telles exigences [5% et 2%], puis les hausser progressivement, en fonction de la capacité de production de biocarburants des entreprises québécoises», indique la Politique énergétique 2030 du Québec (PEQ), déposée cette année. «Le premier plan d'action de la PEQ sera rendu public cet automne», précise Nicolas Bégin, porte-parole au ministère de l'Énergie et des Ressources naturelles.

En Finlande, le gouvernement s'est donné une cible de 40 % de diesel produit à partir de biomasse d'ici 2030, compare-t-il.

«Cela a fait en sorte d'attirer un investissement chinois de 1 milliard d'euros pour construire une bioraffinerie. Avec ça, on peut créer un écosystème et développer des compétences», dit Jean-François Samray.

Pour M. Samray, l'annonce du gouvernement du Québec sera «un signal puissant» donné à l'industrie. «La seule possibilité de faire lever la filière est de fixer une teneur minimale, comme cela existe dans cinq provinces canadiennes», assure-t-il.

Une telle norme aurait le mérite de hâter des investissements au Québec, croit M. Samray. «Plusieurs décisions d'investissement sont en attente pour connaître la taille du marché domestique, affirme-t-il. La touche finale nécessite de connaître cette cible.»

Un signal insuffisant

«Les gouvernements sont bons pour donner des cibles, ils sont moins bons pour les atteindre, rétorque Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie de HEC Montréal. S'il s'agit d'augmenter la quantité de biocarburants, cela garantit un marché pour des producteurs de carburants produits à partir de maïs, avec ce qu'on sait sur la pollution reliée à ce type de culture», illustre-t-il.

Aussi, le marché restera frileux par rapport à cette cible, car il saura qu'il s'agit d'une cible politique, croit M. Pineau. «Les biocarburants ont un rôle à jouer, mais à l'intérieur d'une vision beaucoup plus large et coordonnée», ajoute-t-il.

Miser sur le marché du carbone

«La principale action du gouvernement du Québec devrait être de miser sur le marché du carbone, qui est un vrai outil pour pénaliser les carburants émetteurs», précise M. Pineau.

Pour M. Pineau, la priorité n'est pas tant d'ajouter des énergies renouvelables que de réduire les énergies problématiques. «Les biocarburants possèdent déjà un avantage sur les carburants fossiles, ils ne sont pas soumis au marché du carbone, souligne M. Pineau. Aussi, les distributeurs d'énergie n'ont pas à acheter de droits à émission pour compenser les gaz à effet de serre.»

Or, ce coût de compensation s'élève à 16 $ la tonne de carbone selon les dernières enchères datant du mois de mai, soit 4 cents par litre d'essence. «Et cette taxe appliquée depuis le 1er janvier 2015 augmentera d'ici 2020 parce que le plafond d'émissions va diminuer», explique M. Pineau.

Le gouvernement du Québec devrait communiquer davantage sur cette taxe que paient aujourd'hui les consommateurs sans s'en rendre compte, estime M. Pineau. « Le gouvernement doit aussi encourager la recherche sur des procédés moins coûteux pour créer les biocarburants », assure Pierre-Olivier Pineau, qui critique le recours à la production de biocarburants à partir de maïs, et qui appelle au développement de sites intégrés de production à partir de biomasse forestière.

Refondre l'offre de transport

Il ne faut pas oublier que l'enjeu ultime est la réduction des émissions de gaz à effet de serre, rappelle Pierre-Olivier Pineau. Cela nécessite le recours à des modes de transport alternatifs à l'automobile en solo. «On voit bien que les Québécois privilégient les VUS et que le transport en camions continue de prendre de l'expansion, martèle-t-il. Et la cible de biocarburants ne parviendra pas à réduire suffisamment nos émissions de gaz à effet de serre pour respecter l'objectif de 2030. C'est une refonte du système de transport qui doit être opérée.»

Dans sa Politique énergétique 2030, le gouvernement du Québec affirme qu'il encouragera «l'offre de transport collectif, collaboratif et actif». Il faudra attendre à l'automne pour connaître le plan d'action précis de ce soutien.

Quand l'écorce coule dans des moteurs

La scierie Rémabec de Parent, à l'ouest de La Tuque, mettra en oeuvre au début du mois d'août une unité de démonstration qui transformera de l'écorce en biocombustible. Jusqu'à présent, la scierie ne savait que faire de ce résidu, issu de ses activités de sciage. Si l'expérience est concluante, elle trouvera là un sous-produit convoité.

Une production intégrée

Alimentée directement en écorce par la scierie, l'unité de démonstration pourrait produire annuellement 9 millions de litres d'huile de pyrolyse et 800 tonnes de biocharbon. La première peut remplacer le mazout lourd dans les activités des cimenteries et dans les fours d'usines de pâtes et papiers. « Nos clients potentiels sont intéressés par les crédits de carbone qu'ils pourraient en tirer », explique Éric Bouchard, vice-président Opérations manufacturières et développement corporatif chez Gestion Rémabec. La firme se présente comme « le plus grand entrepreneur forestier privé et le deuxième scieur en importance au Québec ».

Valoriser (enfin) l'écorce

L'écorce est jusqu'à présent le résidu le moins valorisé à la scierie de Parent. « Cela nous coûte de l'argent pour l'enlever de notre site », souligne M. Bouchard, qui précise que dans le passé, des scieries enfouissaient l'écorce, faute de demande pour ce résidu. Et l'enlèvement peut coûter cher, compte tenu de l'éloignement de la scierie dans la forêt mauricienne, à plus de quatre heures de La Tuque. La quantité d'écorce est telle que quatre unités de production de biocarburant pourraient être alimentées en permanence chaque année. Et la manutention est facilitée, puisque la scierie utilise déjà des chargeuses sur roues.

Vérifier la qualité du produit

L'étape de la démonstration doit permettre à Rémabec de vérifier la qualité du biocarburant produit. « Nous allons oeuvrer pour affiner le plus possible notre produit, souligne Éric Bouchard. Nous verrons ensuite sous quelles formes proposer la production à des clients potentiels. » Dans l'unité de démonstration fournie par Pyrobiom Énergies, filiale de Rémabec située à Thetford Mines, l'écorce est transformée en poudre, elle-même chauffée pour produire un gaz. Celui-ci est refroidi et prend alors la forme d'une huile, de charbon et de gaz de synthèse, lui-même réutilisé pour sécher l'écorce.

Des résultats attendus

La phase de démonstration doit durer jusqu'à la fin de l'année 2016. « Mais dès le mois de septembre, nous verrons si nous avons affaire à des problématiques majeures ou à de simples ajustements », explique Éric Bouchard. Un projet pilote réalisé chez Pyrobiom Énergies, avec la matière première venue de Parent, s'était conclu de manière satisfaisante, précise le dirigeant de Rémabec. Un enjeu important est le taux d'humidité contenu dans l'écorce et la capacité à pouvoir en tirer un biocarburant capable de se substituer aux produits pétroliers.

Les chiffres du projet

La phase de démonstration représente un investissement de 7,5 millions de dollars. Pyrobiom Énergies a bénéficié d'un soutien du gouvernement du Québec, par l'entremise du Fonds vert, à hauteur de 3 millions. Le projet crée une dizaine d'emplois à la scierie de Parent. Et le nombre d'embauches pourrait doubler si la démonstration est concluante et que d'autres unités étaient ajoutées. Actuellement, la scierie de Parent emploie une centaine de personnes dans ses installations, ainsi que 125 autres travailleurs en forêt. « Et si le projet fonctionne, il fera des petits ailleurs, sur d'autres sites », espère Éric Bouchard.