Un moratoire décrété par la Ville de Montréal empêche tout développement pour quelque 50 petites entreprises, voisines de la raffinerie Suncor. Impossible pour elles de louer ou de vendre des locaux, de faire des travaux ou même simplement poser une enseigne jusqu'à nouvel ordre! Résumé en huit points de notre rencontre avec des entrepreneurs qui craignent de tout perdre.

Près de 1000 emplois en jeu

Ils se sont établis dans l'est de Montréal dans le but de prospérer. ils y paient leurs taxes et, ensemble, ils donnent du travail à 950 personnes. Certains sont établis à Pointe-aux-Trembles depuis 25 ans. Ces entrepreneurs, pour la plupart aux cheveux gris, voyaient enfin sonner l'heure de la retraite bien méritée. Du jour au lendemain, tout a basculé. La Ville de Montréal a décidé de bloquer toute demande de permis en raison du danger que pose la présence de trois énormes réservoirs de butane, situés à quelques mètres de chez eux. Cette décision, temporaire, mais qui risque de devenir permanente, est en vigueur depuis plus d'un an.

«Que la Ville nous donne un break!»

Jean-Philippe Beaudry, fils de Jacques Beaudry, propriétaire du distributeur alimentaire Beaudry&Cadrin, à l'angle de la Métropolitaine et du boulevard Saint-Jean-Baptiste, vit un cauchemar tout éveillé.

Les Beaudry ont acheté de la Ville de Montréal un terrain avec obligation de construire. Ce qu'ils ont fait en 2005, créant 100 emplois permanents dans l'est de Montréal, une rare bonne nouvelle pour la région dans une période où Pétromont, Mango, la raffinerie Shell disparaissaient du paysage. Aujourd'hui, ils sont quasiment devenus des «indésirables».

Le réveil de la sécurité civile

Que s'est-il passé? À la demande de l'arrondissement, le centre de sécurité civile a émis un avis temporaire gelant tout développement dans une zone considérée comme à risque très élevé autour des réservoirs de Suncor au printemps 2014. Or, les sphères sont situées au beau milieu d'un parc industriel, à quelques mètres de la Métropolitaine où circulent 100 000 véhicules par jour et du boulevard Saint-Jean-Baptiste, un axe routier nord-sud stratégique.

La décision a pris tout le quartier par surprise puisque la ville avait autorisé sans faire de drame la construction de ces réservoirs en 2007. Depuis Lac-Mégantic, ce qui n'était pas considéré comme dangereux en 2007 l'est devenu beaucoup plus.

«Qui va prendre les pertes?»

Les trois frères Savoie ont le moral dans les talons. Leur entreprise, Acier Sabec (six employés), existe depuis 1986. «On est dans la zone à risque, dit André Savoie. Sabec a un local de 300 pi2 disponible qu'ils ne peuvent plus louer, faute de permis d'occupation. Qui va prendre les pertes?», se demande-t-il à voix haute, se doutant bien de la réponse.

Se regrouper pour se défendre

Jean-Philippe, les Savoie et d'autres entrepreneurs du secteur se sont regroupés au sein de la Coalition de développement économique de Pointe-aux-Trembles. La Presse Affaires les a rencontrés, à un jet de pierre des sphères de butane.

«On se sent abandonné par la Ville et l'arrondissement, dit Marc Fortin, porte-parole de la Coalition. On est arrêté depuis 18 mois. C'est tout comme une expropriation déguisée, sans compensation financière», poursuit-il.

Déménager des ballons de butane

La Coalition demande aux élus de faire pression sur le centre de sécurité civile pour que son avis final soit rendu public dans les plus brefs délais. «Si c'est réellement dangereux, que la Ville et Suncor prennent leurs responsabilités et que les trois réservoirs de butane soient déplacés ailleurs», ajoute M. Fortin. Suncor refuse de dire combien coûterait le déménagement des sphères de butane. «Ce n'est pas un scénario qui est envisagé. On les juge très sécuritaires et elles sont de construction récente», dit son porte-parole Dean Dussault.

La Ville refuse de baisser la valeur des immeubles

Luciano Piazza vend des briques et du pavé uni sur Saint-Jean-Baptiste depuis 2008. Lui aussi veut louer des locaux de son bâtiment trop grand pour ses propres besoins. Une tâche quasiment impossible sans permis d'occupation. «La Ville continue pourtant de me réclamer des taxes municipales de 101 000$ par an», se plaint-il. Des membres du regroupement ont demandé une révision à la baisse de l'évaluation municipale le 22 avril 2015 en raison du moratoire. Ils ont essuyé un refus net de l'évaluateur de la Ville le 27 juillet suivant.

Le territoire frappé par le moratoire compte 53 entreprises occupant des bâtiments d'une valeur foncière de 44 millions qui rapporte 2,3 millions en taxes chaque année.

Pas de compensations pour les voisins de Suncor

Les PME situées à proximité de la raffinerie Suncor doivent prendre leur mal en patience, la mairesse de l'arrondissement Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles, Chantal Rouleau, n'a pas encore statué sur l'aide à donner aux cinquante entreprises prisonnières du moratoire. «On est en train de travailler là-dessus. On regarde des solutions», dit-elle, dans un entretien.

Mme Rouleau se défend bien d'avoir abandonné les entrepreneurs à leur sort. Des rencontres ont eu lieu, dit-elle, de même que des communications verbales et écrites. Trois comités Ville-Arrondissement ont été constitués. «Je suis très consciente de ce que ça cause à ces gens-là », a-t-elle tenu à dire.

L'élue ne sait toujours pas quand le centre de sécurité civile produira son avis final, attendue depuis plus d'un an.