La situation est ironique. D'un côté, la forêt québécoise regorge de branches coupées, de feuillage et de copeaux qui pourrissent le long des chemins forestiers. De l'autre, des industriels souhaitent valoriser cette matière. Mais pour des raisons surtout réglementaires, les projets ne décollent pas.

« Juste en Mauricie, il y a 650 000 tonnes de résidus forestiers annuellement qui ne sont pas exploités et qui ne sont en compétition avec aucune autre filière. Et j'ai rencontré des présidents d'entreprise lors de missions commerciales à l'étranger qui nous disaient : "Nous sommes avides de biomasse et votre projet nous intéresse énormément" », dit Patrice Mangin, titulaire de la Chaire de recherche en bioéconomie à l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR).

Ces industriels souhaitent notamment transformer les résidus forestiers en biodiésel. Mais ce qui cloche, selon M. Mangin, c'est toute la réglementation québécoise qui encadre l'exploitation de la forêt.

« Actuellement, le gouvernement demande aux gens intéressés par la biomasse de s'entendre avec les exploitants forestiers qui paient des droits de coupe. Mais ça ne fonctionne pas trop bien. Qui paie pour les chemins forestiers ? Qui paie pour les feux ? Les deux camps ne s'entendent pas », dit-il.

La situation est d'autant plus difficile, selon lui, que la filière de la biomasse ne peut se permettre d'assumer des coûts importants, sous peine de perdre tout espoir de rentabilité.

« Ce qui est important, pour quelqu'un qui veut exploiter la biomasse, c'est de sécuriser l'approvisionnement pour cinq ou dix ans. Et ce n'est pas facile au Québec. », affirme Simon Barnabé, spécialiste de la bioéconomie à l'UQTR, qui présentera ses résultats au congrès international de la Biotech Industry Organization à Montréal ce mois-ci.

L'homme en sait quelque chose. Il y a quelques années, Rio Tinto Alcan lui a demandé de l'aider à monter un projet visant à chauffer une partie de l'aluminerie d'Alma avec des résidus forestiers.

« Les résidus forestiers sont très abondants dans la région, dit M. Barnabé. Mais il y avait des réticences de la part des entreprises forestières à signer des contrats pour approvisionner Rio Tinto Alcan. Quand tu signes un contrat d'approvisionnement, il faut que tu t'assures qu'il soit constant chaque année. Ce n'est pas toujours évident. »

Rio Tinto Alcan a fini par abdiquer et par produire sa propre biomasse... en faisant pousser des algues dans ses eaux usées.

Plan d'action

En 2009, Québec avait pourtant lancé un plan d'action appelé « Vers la valorisation de la biomasse forestière ». Depuis le 1er avril 2013, de nouvelles modalités sont aussi en vigueur afin « d'accorder une meilleure sécurité d'approvisionnement aux promoteurs de biomasse ». Mais la réglementation, selon les experts, reste à peaufiner.

Un groupe de travail comprenant des gens du ministère de l'Énergie et des Ressources naturelles, des chercheurs et des industriels a d'ailleurs été formé pour trouver des solutions.

« Le but est toujours le même : rendre l'utilisation de la biomasse la plus rentable possible. », soutient Jacques Nadeau, porte-parole du ministère de l'Énergie et des Ressources naturelles.

Le Québec compte bien une dizaine de producteurs de granules à base de biomasse destinées à chauffer des bâtiments. Dix usines de cogénération, qui produisent à la fois de l'électricité et de la chaleur, sont aussi en exploitation. Mais compte tenu de son potentiel, la filière de la biomasse au Québec est peu développée.

« Au Québec, la récupération de la biomasse forestière est au stade embryonnaire, contrairement à l'Europe où elle est commune et avantageuse », reconnaît d'ailleurs Ressources naturelles Québec dans un document récent.

Un projet-phare à La Tuque

Les acteurs du milieu ne désespèrent cependant pas. Ils veulent maintenant démontrer le potentiel de la biomasse en attirant à La Tuque un acteur mondial qui pourrait transformer les résidus forestiers en biodiésel. Selon M. Mangin, les investissements nécessaires s'élèvent entre 650 millions et 1 milliard de dollars. Il espère voir le projet se concrétiser d'ici 2023.

« Il reste beaucoup de travail à faire, admet-il. Mais c'est plus qu'une intention : c'est un projet qui est en train de démarrer. On a déjà des investisseurs potentiels. Ce ne sont pas des gens qui ont signé des contrats, mais qui ont démontré un intérêt clair. »