Après des mois de controverse, TransCanada va abandonner son projet de port pétrolier à Cacouna. La société albertaine étudie en ce moment des solutions de rechange à ce volet du projet Énergie Est.

À Québec, plusieurs sources au sein du gouvernement indiquent que l'affaire est entendue et que l'annonce n'est plus qu'une formalité, après qu'un comité d'experts a conclu que les bélugas étaient une espèce en voie d'extinction. Déjà, les solutions de rechange examinées par la compagnie ont été transmises au gouvernement Couillard: Lévis, Baie-des-Sables, près de Matane, Bécancour ou plus simplement le Nouveau-Brunswick.

TransCanada est d'ailleurs en négociation pour retenir les services de Dan Gagnier, ancien bras droit de Jean Charest, afin qu'il contribue à la réflexion sur sa stratégie à venir.

Au début de février, le président d'Oléoduc Énergie Est (ONÉ), François Poirier, déclarait que la compagnie n'avait toujours pas tiré un trait sur le site de Cacouna, mais clamait que sa société se souciait au plus haut point de l'environnement.

«Ce fut toujours notre manière de faire depuis 60 ans et rien n'y changera», avait-il écrit. Hier, le porte-parole de la société, Tim Duboyce, a soutenu qu'elle n'avait pas décidé si elle abandonnerait le projet de Cacouna.

«Nous ne pouvons pas le confirmer, et en fait, nous le démentons, a-t-il dit. Il n'y a pas de décision de prise encore.» TransCanada avait fait savoir qu'elle se donnait jusqu'au 31 mars pour annoncer sa décision.

Dans sa version actuelle, le projet Énergie Est prévoit la construction de deux ports pétroliers, l'un à Cacouna et l'autre au Nouveau-Brunswick. Selon des documents produits à l'Office national de l'énergie, 175 pétroliers de type Aframax (capacité de 700 000 barils) et Suezmax (capacité de 1,1 million de barils) utiliseraient les installations portuaires sur le fleuve Saint-Laurent.

La première mouture d'Énergie Est, dévoilée en avril 2013, prévoyait que le port serait construit à Lévis. La proposition avait reçu un accueil tiède des autorités. Le conseil municipal a adopté une résolution pour s'opposer au projet. TransCanada a finalement choisi le site de Cacouna, six mois plus tard, affirmant que le site était géographiquement plus avantageux.

Lévis envisagé

Selon nos informations, TransCanada a de nouveau tâté le terrain auprès de la Ville de Lévis. Sa direction québécoise a rencontré il y a deux semaines la quinzaine d'élus et un nombre égal de fonctionnaires. La réunion s'est mal passée: le maire Gilles Lehouillier a dû insister à plusieurs reprises pour que le directeur québécois Philippe Cannon et ses adjoints produisent une carte pour illustrer le parcours envisagé, et même après qu'il eut obtempéré, la Ville a été prévenue que le tracé n'était pas définitif. Les représentants de la société ont reçu comme une gifle le refus sonore du maire Gilles Lehouillier d'autoriser la construction d'un port pétrolier qui exigerait un changement au zonage de la ville.

Cannon et son équipe ont été carrément sonnés, confiera un témoin. Les représentants de TransCanada «ont reculé dans leur chaise» quand M. Lehouillier leur a dit «d'oublier ça!».

Du côté de TransCanada, on estime surtout que Lévis voulait d'entrée de jeu hausser la barre - l'entente sur le défunt projet Rabaska était fort lucrative pour Lévis. Si l'entreprise veut y bâtir des installations portuaires, elle devra payer le prix fort.

Bécancour, où un port administré par une société d'État est actuellement sous-utilisé, et Baie-des-Sables, près de Matane, ont aussi été envisagés pour accueillir le port.

Le site de Baie-des-Sables fait partie des huit sites examinés par TransCanada pour le port, selon les documents de l'ONÉ. Si l'entreprise devait choisir ce site, il lui faudrait bâtir un oléoduc beaucoup plus long. D'ailleurs, à Bécancour comme à Baie-des-Sables, aucune démarche ne semble avoir été entamée par TransCanada.

En veilleuse

TransCanada avait mis en veilleuse son projet de bâtir un port à Cacouna, en décembre, lorsqu'un comité fédéral avait changé la désignation du béluga du Saint-Laurent, le faisant passer du statut d'espèce «menacée» à celui d'espèce «en voie de disparition». L'infrastructure projetée se trouve dans la zone de reproduction de ce mammifère marin.

Une version préliminaire du rapport du Comité sur la situation des espèces en péril (COSEPAC), dont La Presse faisait état la semaine dernière, cite explicitement le transport du pétrole sur le fleuve et le port de Cacouna comme des facteurs de risque pour la survie du béluga.

Le premier ministre Philippe Couillard a envoyé un message clair à l'entreprise en décembre: «Il m'apparaît difficile de continuer à prévoir un site de port pétrolier avec une information de cette sorte, avait-il dit. Maintenant, c'est au promoteur de décider d'aller vers des sites alternatifs.»

Des sources à TransCanada soulignent qu'on ne sait pas encore ce qu'Ottawa décidera à la lumière du constat de ses experts. On relève que l'industrie touristique locale multiplie impunément les croisières d'observation de ces mêmes mammifères marins.

Sept conditions

Le gouvernement Couillard a imposé sept conditions à son appui au projet Énergie Est. En outre, le projet devra générer des retombées économiques et fiscales pour tout le Québec.

Si l'entreprise choisit de bâtir un port au Nouveau-Brunswick plutôt qu'au bord du Saint-Laurent, les retombées à long terme du projet pourraient être moindres au Québec, car le port entraînera la création d'emplois à long terme.

L'abandon du port disqualifierait-il le projet Énergie Est aux yeux de Québec? Pas nécessairement, dit-on, car la construction de l'oléoduc, l'achat d'électricité pour actionner les stations de pompage et l'installation possible de bureaux au Québec pourraient rendre le projet plus attrayant.