Avec sa séduisante proposition, Enerkem est vite devenue le chouchou des environnementalistes, des gouvernements et de l'industrie des technologies vertes. «Imaginez utiliser vos déchets pour faire rouler votre voiture», dit la publicité de l'entreprise.

Il faudra continuer à l'imaginer parce qu'Enerkem ne produira pas l'éthanol de nouvelle génération tant attendu dans sa première usine commerciale en Alberta.

C'est du méthanol, un produit intermédiaire qui n'a pas la même valeur commerciale et qui ne peut pas être utilisé comme carburant, qui sortira des installations d'Enerkem Alberta Biofuels.

Un module permettant la production d'éthanol devrait être ajouté dans les prochains mois. «D'ici la fin de 2015, c'est notre objectif», indique le président-directeur général d'Enerkem, Vincent Chornet, lors d'un entretien avec La Presse Affaires.

Transformer des déchets non récupérables en carburant est une proposition qui fait rêver la planète entière. Enerkem pense que sa technologie de gazéification peut produire de l'éthanol avec des déchets à un coût comparable à celui de l'éthanol conventionnel à base de maïs.

Cette technologie a d'abord été testée dans une usine pilote à Westbury, en Estrie, et sera lancée commercialement à Edmonton le 4 juin, dans une coentreprise avec le géant américain des déchets Waste Management.

Depuis ses débuts, Enerkem a produit 40 000 L de méthanol ou d'éthanol. Elle dit maintenant se préparer à en produire 38 millions de litres par année à Edmonton, et autant à Varennes, au Québec, ainsi que dans 20 autres usines qui seront construites aux États-Unis.

À 40 ans, Vincent Chornet est convaincu d'être en train de «construire la prochaine multinationale québécoise», avec la technologie mise au point par son père à l'Université de Sherbrooke.

Mais des doutes commencent à surgir au sujet de l'efficacité de la technologie révolutionnaire d'Enerkem. Des doutes que le report de la production d'éthanol vient alimenter.

Le problème auquel Enerkem fait face, selon un spécialiste de ce type de procédé, c'est la purification du gaz de synthèse issu de la première étape de conditionnement de déchets disparates. «C'est extrêmement problématique et ce n'est pas possible de le faire en continu», dit cet expert, qui doute qu'Enerkem réussisse à produire de l'éthanol à grande échelle à un coût raisonnable.

Au bout du compte, estime-t-il, ça devient une question de coût. Même si Enerkem réussit à surmonter cette étape cruciale du nettoyage des gaz, sa technologie fera face à des coûts trop élevés pour s'imposer.

Le modèle d'affaires d'Enerkem repose sur deux sources de revenus: les municipalités qui la paieront pour se débarrasser de leurs déchets plutôt que de verser 45$ la tonne pour les envoyer dans un terrain d'enfouissement, et les raffineurs qui seront obligés d'acheter de l'éthanol de seconde génération pour se conformer à la réglementation américaine.

On appelle éthanol de nouvelle génération le biocarburant qui n'entre pas en compétition avec la chaîne alimentaire. Personne n'en produit encore à grande échelle, comme c'est le cas de l'éthanol à base de maïs ou de céréales.

Du scepticisme

Enerkem a confié une partie de la construction des systèmes opérationnels de son usine d'Edmonton à des sous-traitants québécois. Des fabricants de tuyaux et de systèmes de transport de gaz ont ainsi été impliqués dans l'aventure d'Enerkem.

Certains de ces entrepreneurs sont sortis meurtris de l'expérience. Ils ont fait face à des retards importants, à des dépassements de coûts et aux refus répétés de l'entreprise de payer ses factures.

Quelques-uns craignent de ne pas être payés et sont devant les tribunaux pour tenter de recouvrer ce qu'ils estiment être leur dû.

Ces entrepreneurs ne sont ni des chimistes ni des experts technologiques. Mais ils s'y connaissent en tuyauterie. Ils doutent que le procédé d'Enerkem puisse fonctionner parce que les tuyaux se bloquent très vite et qu'il faut sans cesse tout arrêter pour les nettoyer.

C'est le «slag» qui se forme dans les chambres de combustion qui pose problème, confirme le chimiste interrogé par La Presse. Une fois les déchets transformés en gaz de synthèse, le nettoyage et la purification de ce gaz pour en faire du méthanol et de l'éthanol sont des opérations très complexes. «Le problème n'est pas de produire un peu d'éthanol avec du gaz de synthèse, mais d'en faire beaucoup et en continu», dit-il.

Enerkem affirme avoir trouvé une solution à ce problème en changeant «un composant qui ne répondait pas aux attentes».

Du méthanol, pas de l'éthanol

Si son usine d'Edmonton tient ses promesses, Enerkem aura résolu le problème, qu'importe si le produit qui en sort n'est pas le biocarburant espéré, mais du méthanol, produit utilisé comme matière première par l'industrie pétrochimique, qui en fait des polymères ou du liquide lave-glace.

Vincent Chornet estime que la production d'un biocarburant est un «aboutissement ultime», mais pas indispensable pour Enerkem.

«Ce n'est pas le centre de la technologie d'Enerkem. Notre technologie, c'est de convertir des déchets ultimes dans un produit de base, comme le méthanol. Elle est là, l'innovation. On a une bonne business déjà avec le méthanol», explique-t-il.

Il y a beaucoup de demande pour le méthanol dans l'industrie du pétrole et du gaz en Alberta et les prix sont bons, selon lui. «On n'avait pas anticipé que le prix du méthanol serait aussi élevé. On pense qu'il y a là une façon de générer de la rentabilité.»

Enerkem pourrait même renoncer à produire de l'éthanol. «On pourrait ne pas y aller, dit Vincent Chornet. Mais on parle d'un produit qui se vend plus cher. Il y a une rentabilité supplémentaire, alors ça reste dans notre objectif.»

Prochaine étape, Varennes

Après Edmonton, c'est la construction de l'usine de Varennes qui devrait commencer. «D'ici la fin de l'année», dit Vincent Chornet.

Ethanol Greenfield, son partenaire qui produit déjà de l'éthanol à base de maïs à Varennes, attend lui aussi de voir la performance de l'usine albertaine. «Edmonton, c'est le test», affirme Jean Roberge, son directeur général.

Contrairement à Vincent Chornet, qui soutient que sa technologie n'a pas besoin de subventions pour être rentable, Ethanol Greenfield croit que la production d'éthanol de seconde génération aura besoin des fonds publics pour s'imposer. «Aucun des projets de ce genre ne va voir le jour sans l'appui du public», dit M. Roberge.

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LA FEUILLE DE ROUTE D'ENERKEM

2000

Fondation d'Enerkem, qui se décrit comme un chef de file dans le développement de biocarburants cellulosiques: «La technologie propre de gazéification et de catalyse d'Enerkem transforme les déchets solides municipaux triés et les résidus forestiers en éthanol et autres biocarburants.»

2006

Annonce d'une percée majeure en Angleterre. La technologie de gazéification des déchets d'Enerkem est retenue pour produire 10 mégawatts d'électricité qui seraient vendus à une usine de Ford. Le projet ne s'est pas réalisé.

2008

Annonce d'une entente avec la Ville d'Edmonton pour la construction d'une usine de 70 millions devant produire 38 millions de litres de biocarburants. La production d'éthanol ne commencera pas avant la fin de 2015.

2009

Annonce d'une percée aux États-Unis avec la construction d'une usine de production de biocarburants de 75 millions de litres par année à Potontoc, au Mississippi. Le projet, admissible à une aide du gouvernement américain de 110 millions, est toujours au point mort.

2010

Enerkem reçoit 53,8 millions en capital de risque de différents investisseurs, dont Waste Management et Cycle Capital. Début de la construction de l'usine d'Edmonton, dont le coût a grimpé à 80 millions et dont la mise en production est prévue pour 2011.

2011

Enerkem reçoit une autre injection de 88 millions en capital de risque et accueille de nouveaux investisseurs, dont Valero et Fondaction CSN.

2012

Enerkem annonce son intention d'inscrire ses actions au NASDAQ pour récolter 125 millions US. Le projet est abandonné quelques mois plus tard. Enerkem annonce la construction d'une usine d'éthanol cellulosique à Varennes, en partenariat avec Ethanol Greenfield. Le projet, qui reçoit une aide financière de 27 millions du gouvernement québécois et de 39,8 millions du gouvernement fédéral, est en gestation.

2013

Enerkem reçoit une nouvelle injection de 50 millions en capital de risque, dont 7 millions du Fonds de solidarité FTQ et 20 millions d'Investissement Québec.

2014

Inauguration de l'usine d'Edmonton, dont la construction a commencé en 2010 et dont le coût est maintenant estimé à 100 millions. L'usine produira du méthanol, un produit intermédiaire; un module de production d'éthanol devrait être ajouté plus tard.

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PLUSIEURS INVESTISSEURS

Un total de 240 millions de capital de risque ont été investis dans Enerkem depuis 2003.

Ils ont investi :

Waste Management

Valero, société mère américaine d'Ultramar

Cycle Capital, fonds de capital de risque de Montréal

Investissement Québec: 27 millions

Gouvernement fédéral : 39,8 millions

Fonds de solidarité FTQ: 7 millions

Fondaction CSN: 3,5 millions

*Inclut des contributions accordées mais pas encore déboursées