Malgré des surplus prévus pour perdurer jusqu'en 2027, Hydro-Québec n'a pas ralenti la cadence dans la construction de ses nouvelles centrales, et elle n'a pas l'intention de le faire non plus.

Le projet la Romaine prévoit la construction de quatre centrales, qui ajouteront encore 1550 mégawatts à la capacité de production d'Hydro-Québec. Il sera complété comme prévu, a fait savoir la société d'État.

«Nous avons déjà trois des quatre aménagements en chantier actuellement, c'est-à-dire Romaine-2, Romaine-1 et Romaine-3, dont les mises en service sont toujours prévues dans l'ordre en 2014, 2016 et 2017, a précisé la porte-parole Marie-Élaine Deveault.

«Les travaux pour la construction de Romaine-4, dont la mise en service n'est prévue qu'en 2020, commenceront au cours des prochaines années, comme prévu au calendrier.»

La Romaine est un projet d'investissement de 6,5 milliards, qui nécessitera la construction de lignes de transport au coût de 1 milliard.

Tous ces travaux se déroulent selon l'échéancier prévu, selon la porte-parole.

Au cours des dernières années, la capacité de production d'Hydro-Québec a considérablement augmenté ce qui, conjugué à une baisse de la demande, a contribué à la constitution des surplus d'électricité.

Les centrales de Péribonka (2008) et de Toulnustouc (2005) ont ajouté 1000 mégawatts. Plus récemment, le complexe Eastmain-1-A-Sarcelle-Rupert a rajouté 1200 mégawatts supplémentaires. Et les quatre centrales de la Romaine généreront 1550 mégawatts de plus.

Lorsque le projet la Romaine a été lancé, Hydro prévoyait que la production de ces nouvelles centrales serait nécessaire pour alimenter le marché québécois à partir de 2020. On prévoit maintenant que le marché québécois n'aura pas besoin de cette nouvelle production avant 2027 ou 2030.

D'ici là, toute cette électricité est donc disponible pour l'exportation. Le prix de l'électricité sur les marchés de gros (4 cents le kilowattheure) est cependant inférieur au coût de production de la Romaine (6,5 cents le kilowattheure). L'exportation est donc une stratégie moins rentable pour écouler ces surplus.

Dans les cartons d'Hydro-Québec

Hydro-Québec a d'autres projets de développement dans ses cartons, dont certains sont déjà au stade d'avant-projet. C'est le cas de Petit-Mécatina, sur la Basse-Côte-Nord, qui ajouterait 1200 mégawatts à son parc de production. 

Par ailleurs, à la demande du gouvernement précédent, Hydro-Québec examinait jusqu'à récemment des projets de développement dans le territoire du Plan Nord. Un potentiel de 2500 mégawatts avait été identifié, qui aurait exigé des investissements importants de la part d'Hydro-Québec - 47 milliards selon le Plan Nord original. Ce potentiel a été mis de côté, a-t-on appris dans la récente mise à jour budgétaire du ministre des Finances Nicolas Marceau.

Hydro devait aussi alimenter les projets miniers du Plan Nord, mais le ralentissement de l'activité minière se traduit par une baisse de la demande potentielle.

Des surplus sous-évalués 

Sur le marché québécois, les surplus sont évalués par Hydro-Québec à 75 milliards de kilowattheures. En réalité, ils sont deux fois plus importants, si on tient compte des moyens pris pour réduire ces surplus, comme la fermeture de la centrale au gaz naturel de TransCanada Energy, des surplus d'Hydro-Québec Production et de la capacité de production ajoutée récemment.

Ces surplus coûtent cher. Sur le marché québécois seulement, le coût des surplus a été estimé à 1 milliard par année par l'analyste Jean-François Blain pour le compte de l'Union des consommateurs.

Il y a déjà un bon bout de temps que des voix s'élèvent pour réclamer une pause dans les investissements d'Hydro-Québec dans les nouvelles installations de production. «Le Québec doit réduire son excédent de capacité au plus tôt, conseillait l'économiste Pierre Fortin en août dernier. La seule façon d'y arriver est de ralentir les chantiers de construction en cours et d'attendre, avant d'en lancer de nouveaux, que les prix à l'exportation d'électricité se soient suffisamment raffermis ou que la croissance de la demande québécoise en électricité le justifie.»

Hydro-Québec ne voit pas les choses de la même façon. «La capacité de production additionnelle générée par le complexe de la Romaine ne participera pas aux surplus [du marché québécois]. Les centrales de la Romaine s'ajouteront aux moyens de production du Producteur qui servent à l'ensemble des marchés de long terme», explique la société d'État.

C'est de la sémantique, selon le professeur Jean-Thomas Bernard, de l'Université d'Ottawa. «Des surplus restent des surplus, qu'ils viennent de la division Distribution ou de la division Production», explique-t-il.

L'ampleur exacte de ces surplus est difficile à estimer, convient-il, mais ils sont considérables.

Hydro-Québec Production, qui augmente sa capacité de production en construisant de nouvelles centrales, n'a pas de compte à rendre à la Régie de l'énergie, contrairement à la division Distribution qui dessert le marché québécois.

Mais l'augmentation importante des exportations est une bonne indication des surplus de la division Production, qui s'ajoutent à ceux de la division Distribution.

Selon Jean-Thomas Bernard, Hydro aurait intérêt à stopper tout de suite ses investissements dans la nouvelle production, même s'il y a un coût à l'arrêt des chantiers. Si la société d'État persiste, c'est peut-être pour éviter d'envoyer le message que l'économie du Québec se porte mal, avance-t-il.

La demande d'électricité du secteur industriel, un bon indice de la santé de l'économie, est en forte baisse. Hydro-Québec ne prévoit aucun rebond important de la consommation d'électricité au cours de la prochaine décennie dans le secteur forestier ou dans l'aluminium, ses principaux clients.

Le professeur Bernard ne croit pas qu'Hydro augmente sa production pour se préparer à la fin de son contrat avec Terre-Neuve, en 2041. «La production de Churchill Falls ne disparaîtra pas en 2041, elle restera sur le marché et Hydro-Québec pourra l'acheter. Le prix de cette électricité sera plus élevé que celui d'aujourd'hui, mais moins élevé que ce que coûte sa nouvelle production.»

À défaut de stopper la construction de nouvelles centrales, il faudrait au moins arrêter d'acheter de l'énergie éolienne à grands frais, croit Jean Thomas Bernard.

Le gouvernement Marois a décidé de commander encore 1000 mégawatts d'énergie éolienne pour supporter l'industrie installée en Gaspésie. La moitié de cette quantité, soit 450 mégawatts, est déjà l'objet d'un appel d'offres.

Cet appel d'offres est contesté devant la Régie de l'énergie par les consommateurs industriels qui ne veulent pas payer pour de l'énergie dont le marché n'a pas besoin.