Pendant longtemps, les forêts québécoises ont été laissées à l'usage exclusif des grandes entreprises qui y ont pigé selon leurs besoins. Puis, on s'est aperçu que la ressource n'est pas inépuisable et que les forêts utilisables, situées de plus en plus loin des usines, sont devenues plus coûteuses à exploiter.

Avec la crise immobilière aux États-Unis et la disparition du marché du papier journal, l'industrie a traversé une tempête parfaite qui la laisse affaiblie et incertaine de son sort.

Les grandes entreprises de pâtes et papiers encore présentes au Québec sont convaincues d'avoir encore un avenir. Peut-être pas dans le papier journal, un marché en déclin, mais dans d'autres produits plus sophistiqués et à plus grande valeur ajoutée. Il en est question depuis des années, mais le problème, c'est que ces nouveaux marchés tardent à se matérialiser.

Débouchés recherchés

Domtar, par exemple, a consacré beaucoup d'argent et d'efforts pour développer la nanocellulose, un sous-produit de la fibre de bois aux applications multiples et prometteuses. Aucun débouché commercial n'a encore été trouvé pour la production de l'usine de Windsor.

«Ils en produisent une tonne par jour depuis deux ans et ils n'en ont pas encore vendu une livre», reconnaît André Tremblay, président-directeur général du Conseil de l'industrie forestière du Québec.

La pâte dissolvante, utilisée dans la fabrication de tissu, était considérée jusqu'à tout récemment comme un produit qui pouvait sauver l'industrie des pâtes et papiers. Mais Fortress Paper, qui a misé gros sur cette filière à Thurso et à Lebel-sur-Quévillon, a frappé un mur. La Chine a imposé des droits à l'importation de ce type de pâte, et Fortress songe à reconvertir son usine de Thurso dans la fabrication de la bonne vieille pâte kraft et remet en question la relance de l'usine de Lebel-sur-Quévillon basée sur ce marché.

Le marché pour les biocarburants et autres produits chimiques verts issus de la fibre de bois ne s'est pas encore matérialisé. «Il faudra une réglementation pour que ça arrive», affirme André Tremblay.

Reste Tembec, qui parie que sa survie repose sur la pâte cellulosique qui peut être utilisée dans l'alimentation. Avec l'aide financière du gouvernement québécois, l'entreprise investit 235 millions pour convertir une de ses vieilles usines dans cette nouvelle production.

Mises à pied

En attendant les nouveaux produits et les nouveaux marchés qui leur sauveront la vie, les usines de pâtes et papiers vivent encore de leur gagne-pain traditionnel, la pâte kraft, le papier journal et le papier d'impression. Et ce n'est pas facile. Les mises à pied, les concessions salariales et les sacrifices de régimes de retraite sont au menu de ceux, de moins en moins nombreux, qui travaillent encore dans les usines.

«Le papier ne disparaîtra pas complètement, mais c'est sûr qu'il faut trouver autre chose, dit André Tremblay. On a encore de deux à cinq ans devant nous.»

À défaut de pouvoir espérer un programme de modernisation de l'ampleur de celui dont ils ont profité au début des années 80, les producteurs de pâtes et papiers voudraient une réduction de leurs tarifs d'électricité, de l'aide pour construire leurs chemins d'accès à la forêt et des ajustements au nouveau régime forestier. Et peut-être aussi des garanties de prêts pour investir dans leurs usines qui en ont bien besoin. Les prêteurs ne se bousculent pas pour investir dans le secteur. Même la Caisse de dépôt et placement, qui a à coeur le développement de l'économie québécoise, s'en tient loin.

Seulement 170 millions - sur son actif de près de 200 milliards - sont investis dans le secteur des pâtes et papiers au Québec, relevait récemment le député péquiste de Roberval, Denis Trottier.

Quoi qu'il arrive, les producteurs de pâtes et papiers ne seront plus jamais les «kings» de la forêt québécoise qu'ils ont été. C'est plutôt l'industrie du bois qui risque de prendre le haut du pavé.

Cette dernière est promise à un plus bel avenir, estime Luc Bouthillier, professeur au département des sciences du bois et de la forêt de l'Université Laval.

La reprise de la construction aux États-Unis a déjà commencé à avoir une incidence sur le prix du bois d'oeuvre. Les nouvelles techniques de construction avec des poutres lamellées-collées en popularité.

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ÉVOLUTION RÉCENTE DES PRIX

Pâte (résineux): 895,98$US/tonne + 86,61$US (depuis le début de 2013)

Papier journal: 586,66$US/tonne -33,42$US (depuis le début de 2013)

Bois d'oeuvre: 411,67$CAN/Mpmp + 9,3% (depuis un an)

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LA FORÊT EN CHIFFRES

> Volume total: plus de 2 milliards de mètres cubes (m3)

> Volume exploitable en forêt publique: 32,4 millions de m3

> Volume exploité (2012):

18,8 millions de m3 (forêt publique)

4,8 millions de m3 (forêt privée)

5,5 millions de m3 (importations)

> Utilisations:

47% de bois d'oeuvre

36% de pâtes et papiers

9% de panneaux

> Valeur de la production: 15,7 milliards/an ou 3% du PIB

> Emplois: 64 900

14 400 en forêt

26 800 dans la transformation du bois

23 700 dans les pâtes et papiers