Il n'y a pas que dans le Grand Nord que l'exploitation des ressources pose de graves problèmes environnementaux. Dans les moyennes Laurentides et dans Lanaudière, à moins de 100 km de Montréal, les «rois de la garnotte» exploitent carrières et sablières sous un régime archaïque datant du siècle dernier. Exaspérés, les élus locaux accusent le gouvernement de laxisme. À Québec, on promet de grands changements.

Lorsque la pépinière Botanix s'est installée en bordure de la route 117, à Saint-Faustin-Lac-Carré, les autorités de cette petite municipalité des Laurentides ont demandé à ses propriétaires de planter quelques fleurs en devanture pour faire plus joli.

La demande est légitime, surtout à l'endroit d'un commerce qui vend de la verdure, mais c'est tout de même ironique, ces baquets de fleurs, dans ce paysage ravagé par la présence de carrières et de sablières tout autour!

Presque en face de la pépinière, notamment, se dresse une immense montagne de granit éventrée à grand coup de dynamite par l'entreprise de Jean Miller. Cette impressionnante brèche, très visible de la 117, est devenue un «running gag» parmi les élus de la région, qui reprochent à Jean Miller d'avoir profité d'un permis d'ouverture d'un chemin pour fendre la montagne en deux!

«Running gag», peut-être, mais l'affaire ne fait pas rire tout le monde, surtout pas les citoyens des moyennes Laurentides et de Lanaudière, juste à l'est, qui sont de plus en plus nombreux à se mobiliser pour dénoncer l'exploitation de carrières et de sablières dans une région verdoyante reconnue pour le plein air et la villégiature. Entre les deux régions, une quinzaine d'entreprises exploitent des sablières et des carrières, pas toutes selon les plus hautes normes environnementales.

Responsabilité

Des citoyens accusent les entrepreneurs de détruire l'environnement en étirant leurs permis, quand ils ne les ignorent pas carrément, et en contournant les règlements sur le bruit, la poussière, la renaturalisation des lieux après exploitation, bref, de se moquer des communautés et de ne pas se comporter en entreprise citoyenne.

L'entrepreneur Jean Miller ne paraît pas très soucieux de corriger cette image négative. Lorsque La Presse l'a joint, il n'a pas attendu la fin de la première question pour raccrocher en disant qu'il n'avait rien à dire. Un autre entrepreneur du coin, RB Gauthier, souvent cité par les opposants, a décidé de jouer le jeu, avec un porte-parole média et une approche de consultation avec la population.

Cela dit, il y a pas mal de sable dans l'engrenage.

Comme toujours dans ce genre de dossier, il y a des cas de «pas dans ma cour», mais le problème du développement anarchique de l'industrie de la garnotte est plus profond. Même les élus municipaux se plaignent de n'avoir aucun pouvoir sur leur territoire et d'être constamment placés devant le fait accompli à cause du laxisme et de la complaisance de Québec.

Sous le couvert de l'anonymat, un élu résume ainsi la situation: «La plupart du temps, les entreprises fautives ne respectent pas les règlements, mais elles finissent toujours par obtenir leur certificat. Je m'interroge sur cette complaisance.»

Ronald Provost, préfet de la MRC des Laurentides et maire de Brébeuf, acquiesce ouvertement: «Ne pas respecter les règlements environnementaux, c'est dans la culture des carrières et des sablières, et je me pose moi aussi des questions.»

À Chertsey, dans Lanaudière, le directeur général de la municipalité, Pierre Mercier, affirme qu'un fonctionnaire lui a répondu, excédé par son insistance: «Trop de questions n'apporte pas toujours des réponses.»

Dans tous les coins touchés par des exploitations de sable ou de pierre, à Mont-Tremblant, Lac-Supérieur, Sainte-Julie, La Conception, Val-David, Saint-Faustin, Chertsey, les citoyens se plaignent des délais d'intervention de l'Environnement après une plainte. De 30 à 40 jours ouvrables, ce qui laisse largement le temps aux exploitants de se préparer.

«C'est nous qui avons le fardeau de prouver que l'entrepreneur est en infraction pour le bruit, le dynamitage, la poussière, les heures d'opération...», explique Marie Venne, dont la maison s'est retrouvée assiégée par une carrière de RB Gauthier à Mont-Tremblant. Un voisin d'infortune, Ronald Labelle, ajoute: «Le Ministère nous dit: «Surveillez-les et appelez-nous!» Mais il faudrait les prendre sur le fait, et les inspecteurs viennent des semaines plus tard!»

En entrevue à La Presse, le ministre de l'Environnement, Yves-François Blanchet, se montre parfaitement au courant des nombreux irritants causés par les carrières et sablières des Laurentides, «une industrie qui a connu un développement accéléré incompatible avec cette région», précise-t-il.

D'emblée, le ministre affirme que certains joueurs importants de ce secteur «sont sur l'écran radar», et que les Laurentides sont sous surveillance.

«Je ne nomme personne, mais il y a effectivement des exploitants un peu voyous», reprend M. Blanchet, promettant, pour 2014, un resserrement de la réglementation archaïque de cette industrie.» (Voir l'encadré sur cette question.)

Le député péquiste de Labelle, Sylvain Pagé, l'avoue sans détour: «Il y a des histoires d'horreur dans toutes les Laurentides et des gens se font scraper leur vie par le bruit, la poussière, la circulation lourde, les odeurs de diesel...»

M. Pagé croit que le ministère de l'Environnement est dépassé par les événements. «La plupart des entreprises sont fautives, mais il nous faut trop de temps pour intervenir, c'est toujours trop compliqué, trop lourd, dit-il. Je suis intervenu je ne sais pas combien de fois! Il faut que nous revoyions nos façons de fonctionner!»

Municipalités impuissantes, citoyens floués

De très nombreux citoyens voient, en effet, leur vie gâchée et, pour leur grand malheur, les municipalités sont totalement impuissantes à les protéger. Elles sont souvent victimes, elles aussi.

Frustrés, les maires et leur directeur général accusent Québec de les mépriser. Ils dénoncent le laxisme, le manque de consultation, la culture du fait accompli et la réglementation déficiente.

Le fait est qu'une municipalité n'a pratiquement aucun moyen de stopper une carrière ou une sablière. Un exploitant trouve un terrain sur les terres publiques, il achète un bail (pour une bouchée de pain) au ministère des Ressources naturelles, il décroche son certificat d'autorisation de l'Environnement et il se met à creuser, à dynamiter, à concasser, à transporter...

Le tout se fait le plus souvent dans le dos des autorités municipales, qui devront se battre en cour, aux frais des contribuables, pour demander des injonctions et même lutter contre le gouvernement, puisqu'elles doivent passer par la Loi sur l'accès à l'information pour connaître les détails de projets sur leur territoire!

 «Les municipalités sont les enfants de leur mère, soit le gouvernement du Québec, et même si on n'est pas d'accord, on n'a rien à dire, explique Pierre Mercier, directeur général de Chertsey, dans Lanaudière. Comment voulez-vous que je sois un gestionnaire responsable si je ne sais même pas où sera la sablière, quelle superficie, à quelle distance des lignes d'eau, de la nappe phréatique, quelle sera sa capacité de production, le bruit, la poussière, les camions? Je ne sais rien et je dois me battre contre Québec pour savoir ce qui va se passer dans ma ville!»

Son collègue DG à Sainte-Lucie, Denis Malouin, en rajoute: «Les exploitants, eux, savent comment faire pour obtenir leur permis, mais nous, on ne nous consulte jamais. On sait par contre qu'on aura les camions sur nos routes. Une fois qu'ils ont commencé à dynamiter, il est tard pour intervenir!»

Le ministre Yves-François Blanchet concède que «ça n'a pas de bon sens» et invite les municipalités à communiquer directement avec son bureau si elles ont du mal à obtenir des documents.

Sa collègue aux Ressources naturelles, Martine Ouellet, avoue elle aussi que ça ne peut plus durer et promet que son projet de loi sur les mines, s'il est adopté, changera la donne en faveur des municipalités et des citoyens.