Assommé par la décision de Québec d'imposer un moratoire sur l'exploitation de l'uranium, il y a deux mois, le grand patron de Ressources Strateco, Guy Hébert, s'est ressaisi et a promis hier de se «battre jusqu'à la fin» pour sauver l'entreprise.

L'atmosphère était morose à l'assemblée annuelle de Strateco, tenue hier dans un hôtel de Montréal. Les actionnaires se remettent difficilement de la chute de 60% encaissée par le titre de l'entreprise depuis que le gouvernement péquiste a commandé, à la fin de mars, une étude environnementale sur la filière uranifère.

Ce faisant, Québec a reporté indéfiniment l'approbation finale du projet Matoush, une mine d'uranium souterraine que Strateco veut exploiter au nord de Chibougamau. Les vives réjouissances qui avaient fait suite au feu vert d'Ottawa, en octobre, ne sont plus qu'un lointain souvenir.

Des actionnaires déçus

Hier, les actionnaires cachaient mal leur désarroi. L'un d'eux est allé jusqu'à tenir des propos peu flatteurs à l'endroit des Cris, qui s'opposent fermement au projet mais qui ont peu à voir avec l'impasse actuelle.

Devant ce marasme, M. Hébert, 63 ans, s'est montré combatif.

«On ne peut pas perdre: soit qu'on obtient notre permis [de Québec], qu'on obtient des compensations ou que le gouvernement décide de racheter le projet et de le mettre en production quand il voudra, a-t-il soutenu. Ça vaut quand même 2 milliards, ce projet-là. On ne rit pas.»

Si le gouvernement bloque le projet Matoush, dans lequel Strateco a investi 120 millions jusqu'ici, il devra verser des indemnités de 200 millions à l'entreprise, avance le vieux routier de l'industrie minière québécoise. En ajoutant les retombées de 800 millions sur 10 ans que pourrait générer le projet, Québec se priverait de 1 milliard en disant non à l'uranium, estime Guy Hébert, qui ne se fait pas prier pour dénigrer le gouvernement.

«Tu te demandes si, pour eux autres, une bonne mine, ce n'est pas une mine qui est fermée», a-t-il lancé hier.

Poursuites

En Cour supérieure, Strateco demande à Québec de lui verser au moins 420 000$ par mois pour lui permettre de maintenir en place ses installations au camp Matoush. Si cette requête échoue, l'entreprise démantèlera le camp et vendra des actifs pour financer sa bataille juridique. Déjà, 16 employés ont été mis à pied pour réduire les dépenses, soit près de la moitié du personnel.

Strateco a également entamé des procédures judiciaires pour contraindre Québec à rendre une décision finale concernant le projet Matoush.

«C'est pas vrai que le gouvernement va nous éteindre, c'est impossible, a insisté M. Hébert. Que ça prenne trois ou sept ans, ils vont payer.»

Certains actionnaires veulent aussi passer à l'action. Un groupe américain songe à réclamer un dédommagement en vertu du chapitre 11 de l'Accord de libre-échange nord-américain, a indiqué M. Hébert. De son côté, une famille québécoise qui a investi plusieurs millions dans Strateco jongle avec l'idée d'intenter un recours collectif contre Québec.

Pour assurer sa survie et, surtout, conserver le permis qu'elle a obtenu de haute lutte de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, l'entreprise envisage d'acquérir un autre projet minier ailleurs au Canada. Elle pourrait ainsi retenir son personnel qualifié dans l'espoir qu'un jour, le projet Matoush prenne vie.