Les États-Unis ont beau produire toujours plus de pétrole, claironnant au passage leur objectif d'indépendance énergétique, les infrastructures pour le distribuer peinent à suivre, faisant grimper les réserves d'or noir du pays à leur plus haut niveau en trente ans.

Ces stocks ont atteint la semaine dernière 395,3 millions de barils, du jamais vu depuis que les autorités américaines ont commencé à diffuser ces données hebdomadaires, en 1982. Selon les chiffres mensuels du département de l'Énergie, c'est un record depuis avril 1981.

Une partie de cette accumulation est liée à des facteurs saisonniers, les raffineries réduisant la voilure à cette époque de l'année, et consommant donc moins de brut, pour se préparer à la production estivale d'essence.

Les réserves d'or noir augmentent surtout de concert avec le boom pétrolier que connaît le pays depuis 2008: grâce à l'émergence des techniques de fracturation hydraulique du schiste couplée au forage à l'horizontale, la production de brut est passée de 5 millions de barils par jour à 6,5 millions en 2012, et l'Agence américaine d'information de l'énergie (EIA) table sur 8,2 millions en 2014.

Mais «il y a un décalage avec les infrastructures», explique David Bouckhout, analyste chez TD Securities. «On attend la construction d'oléoducs supplémentaires qui permettront de relier aux raffineries les zones où la production augmente».

Déjà, le sens de circulation de l'oléoduc Seaway, utilisé initialement pour transporter du brut importé des ports du golfe du Mexique vers les raffineries du centre du pays, a été inversé: il transporte maintenant 400 000 barils de brut par jour depuis Cushing (Oklahoma, sud), où est stocké le pétrole texan servant de référence au contrat américain WTI coté à New York, vers les raffineries du golfe du Mexique.

Le transport par rail a bondi

Il faudra toutefois attendre le premier trimestre 2014 pour que le tuyau fonctionne à plein, à 850.000 barils par jour.

Le flot a aussi été inversé sur l'oléoduc Longhorn de Magellan, qui transporte depuis cette année du brut produit dans l'ouest du Texas (sud), où la production de pétrole de schiste bat son plein, vers les raffineries du golfe. Il devrait fonctionner au maximum de ses capacités au troisième trimestre.

Le groupe d'oléoducs Sunoco Logistics a également des projets pour «évacuer le pétrole du Bassin permien (au Texas) vers le golfe», note l'analyste indépendant Andy Lipow.

Et les acteurs du marché pétrolier ne désespèrent pas de voir le président Barack Obama autoriser l'extension de l'oléoduc controversé Keystone XL, qui doit transporter du pétrole du Canada, où la production de brut a explosé grâce aux sables bitumineux, jusqu'au golfe du Mexique.

Si le transport par oléoduc représente environ 90% de l'acheminement des produits pétroliers aux États-Unis, les entreprises se tournent de plus en plus vers le rail, notamment depuis les zones où les infrastructures ne sont pas adaptées, comme le Dakota du Nord, grand producteur de gaz de schiste.

Le transport de produits pétroliers par voie ferroviaire a ainsi bondi de plus de 50% en un an.

Cette mutation en cours du réseau d'acheminement de pétrole devrait à terme «permettre de réduire les importations», remarque M. Bouckhout.

Selon le dernier rapport de l'EIA, les importations américaines de brut en février ont déjà baissé de 15% sur un an, tombant à leur niveau de mars 1996.

Mais les États-Unis ne pourront pas arrêter totalement d'importer, ne serait-ce que parce que certaines raffineries ont signé des contrats de long terme d'approvisionnement auprès de pays producteurs de pétrole, note Robert Yawger, de Mizuho Securities USA.

De plus, remarque-t-il, pour certains types de pétrole, «le coût du brut produit en Arabie saoudite, où il est très facile à extraire, reviendra toujours moins cher, même avec le transport, que le pétrole de schiste américain ou les sables bitumineux du Canada».