Le Soudan du Sud vient de célébrer en grande pompe la reprise de sa production pétrolière, à l'arrêt depuis plus d'un an: Juba, qui s'est battu des décennies contre les forces de Khartoum pour son indépendance et le contrôle de ses ressources, espère enfin récolter les fruits de l'extraction du brut.

Mais les réjouissances risquent de tourner court: les mises en garde se multiplient en effet contre les possibilités de détournement des milliards de dollars que le pétrole devrait rapporter au jeune pays.

«Les risques de corruption et de mauvaise gestion dans le secteur pétrolier restent élevés,» a récemment averti l'organisation anti-corruption Global Witness.

La reprise de la production mi-avril offre au Soudan du Sud, indépendant depuis juillet 2011, une chance de se reconstruire: avant l'arrêt de l'exploitation, en janvier 2012, le pétrole assurait 98 % des revenus du pays, l'un des plus pauvres au monde.

Elle apporte aussi à la population l'espoir d'enfin vivre en paix avec le Soudan voisin.

Les relations entre Juba et Khartoum sont restées tendues après l'indépendance et le pétrole est au coeur des tensions.

Le Soudan du Sud a hérité des trois-quarts des réserves de brut du Soudan d'avant sécession, mais reste tributaire des oléoducs du Nord pour l'exporter.

C'est un désaccord sur la redevance à payer par Juba à Khartoum qui avait conduit à l'arrêt de la production: Juba entendait protester contre les prélèvements en nature que Khartoum effectuait, faute d'accord sur les droits de transit. La production n'a finalement repris qu'après un accord obtenu à l'arraché en septembre.

«Le Soudan du Sud est déterminé à vivre en paix avec le Soudan et à partager les revenus tirés du pétrole de façon» que les économies des deux pays tournent, a déclaré le ministre sud-soudanais du pétrole, Stephen Dhieu Dau, quand son pays a rouvert les vannes.

Chances de développement

Les deux pays reviennent de loin: en mars 2012, de violents affrontements le long de leur frontière commune, dont la démarcation n'a jamais été achevée, avaient fait craindre une reprise de combats à grande échelle. Le différend frontalier était en cause, mais pas seulement: la région concernée était riche en pétrole.

Aujourd'hui encore, des tensions persistent entre les deux capitales. Les différends qui opposent les deux pays dépassent la seule question pétrolière. Juba et Khartoum s'accusent aussi chacune de soutenir des rebelles sur le sol de l'autre.

Mais la visite, en avril, du président soudanais Omar el-Béchir à Juba a été perçue comme un signe d'apaisement: il s'agissait du premier déplacement du président soudanais au Soudan du Sud depuis celui qu'il avait effectué le jour de l'indépendance du pays.

L'arrêt de la production pétrolière avait mis les économies des deux pays à genoux. La reprise est donc positive à condition que les habitudes du passé ne reprennent pas le dessus.

L'an dernier, le président sud-soudanais Salva Kiir avait demandé à 75 fonctionnaires et ex-fonctionnaires de restituer 4 milliards de dollars de fonds publics détournés. Juba n'a jamais indiqué si ces sommes avaient été recouvertes et personne n'a jamais été poursuivi.

Dana Wilkins, de Global Witness, note les promesses de gestion transparente faites par le pays. Mais elle demande des explications sur de nombreuses rumeurs d'attributions secrètes de contrats.

«La récente reprise de la production et les revenus qui couleront bientôt à flots seront un test majeur,» poursuit-elle.

Le Soudan du Sud, également ravagé par des mouvements rebelles, a besoin, selon l'ONU, de plus d'un milliard de dollars cette année pour répondre à d'urgents besoins humanitaires. Toujours selon l'ONU, un million de Sud-Soudanais souffrent d'insécurité alimentaire.

Kimo Aban Adibo, expert pétrolier, estime que 40 % des revenus pétroliers servent à payer les salaires d'un service public et d'une armée pléthoriques. Il espère que dans la perspective des prochaines élections en 2015, les priorités changeront.

Le ministre-adjoint de la Santé, Yatta Lori Lugor, affirme que le gouvernement est en faveur d'une nouvelle allocation des ressources.

«Je pense que (le gouvernement) est sérieux sur ce sujet de la corruption et nous allons voir que le pétrole sert au développement,» assure-t-il.

Jusqu'à présent, ce genre de promesses n'ont jamais été suivies d'effets. La grande majorité des Sud-Soudanais vivent dans des zones rurales où l'action gouvernementale se résume à la présence de l'armée.