La semaine dernière, un sondage révélait que 80 % des Québécois étaient contre une hausse des redevances minières. Cette semaine, un autre sondage montrait plutôt que 60 % des Québécois étaient en faveur. Les deux sondages ayant été menés à une semaine d'intervalle en février, les Québécois ont-ils changé d'idée du tout au tout en l'espace de quelques jours?

«Dans les deux cas, la suite et la formulation des questions sont biaisées presque tout le temps, affirme plutôt Claire Durand, professeure titulaire au département de sociologie de l'Université de Montréal et spécialiste des sondages. Je prendrais ça et je mettrais ça aux poubelles.»

François Pétry, directeur du département de science politique de l'Université Laval et professeur en sondages et opinion publique, ne va pas jusque-là. «Mais c'est évident que le sens commun nous indique que les questions [des deux sondages] vont dans des directions différentes.»

Le sondage de la firme Léger, qui montre un appui de 60 % à l'instauration d'une redevance additionnelle sur la valeur brute, a été mené du 11 au 13 février pour le compte de l'Initiative boréale canadienne (IBC).

Le sondage de la maison CROP, qui montre que 80 % des Québécois souhaitent le maintien ou une baisse du niveau de taxation minière, a été mené du 20 au 22 février pour la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) et le Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec. Les deux sondages ont chacun rejoint 1000 par le biais d'un panel web.

«Dans les sondages d'affaires publiques, commandités par des groupes, le message principal va correspondre à l'idéologie du commanditaire, explique François Pétry. C'est une règle empirique que l'on constate, on peut le regretter, mais c'est comme ça.»

Enjeux cadrés différemment

Dans le sondage Léger-IBC, par exemple, une question sur les redevances présente une abondance d'informations sur le montant des redevances en rapport par la valeur totale des minéraux extraits aux Québec (4,5 %). Les informations sont justes, mais «présentées de cette façon, cela incite à dire que c'est trop faible», juge Mme Durand.

«L'enjeu est cadré de manière différente dans les deux sondages», constate aussi M. Pétry. Le sondage CROP-FCCQ utilise plutôt un chiffre de 41 % pour mettre en contexte la question des redevances. Ce chiffre inclut l'ensemble des charges fiscales des sociétés minières québécoises (redevances, impôts fédéraux et provinciaux), rapporté sur leurs profits.

Un autre exemple provient du sondage CROP-FCCQ. Il mesure la connaissance d'une série d'énoncés sur l'industrie minière: que le niveau de taxation est le plus élevé au Québec qu'ailleurs au Canada; que des études concluent que trop taxer les minières pourrait faire perdre des investissements; que les minières versent déjà des centaines de millions au gouvernement. Un peu plus tard, les répondants doivent indiquer s'ils pensent que taxer davantage les entreprises provoquerait des pertes d'emploi, et s'il est normal que les minières fassent des profits. Ensuite, le sondage demande s'il faut taxer davantage les minières ou non.

«Est-ce qu'on crée l'appui plutôt que le mesurer?» demande Mme Durand en observant la séquence des questions. Elle souligne que le répondant moyen à un sondage vise la cohérence dans ses réponses.

Léger Marketing se défend d'avoir posé des questions biaisées. Son vice-président exécutif, Christian Bourque, affirme que l'information présentée dans les questions était juste. Il relativise les différences entre les résultats du sondage Léger et du sondage CROP.

«Il n'y a pas de contradiction, dit-il. Il y a peut-être une apparence de contradiction, mais c'est parce que la question n'est pas posée de la même façon et l'approche n'est pas la même.»

Il n'a pas été possible de parler au représentant de CROP.

«Prudence»

Selon M. Pétry, il ne faut pas rejeter ces sondages commandités du revers de la main. «Le lecteur averti doit interpréter un petit peu et regarder ça à travers un filtre.» Il faut être d'autant plus prudent dans l'interprétation des résultats quand la question est très technique, ajoute-t-il.

Claire Durand avance quant à elle que la question des redevances est peut-être trop technique pour être soumise à ce genre de sondage. Elle prend pour appui le niveau élevé de méconnaissance des enjeux, par ailleurs mesuré dans les deux sondages, et le niveau élevé de «non-réponse» aux questions du sondage Léger-IBC.

Dans un sondage Léger pour le Journal de Montréal et publié en février 2012, 59 % des répondants jugeaient insuffisantes les redevances payées par les minières. La question ne donnait pas de détails sur le niveau actuel de taxation minière ou de redevances.