Le prix de l'or a basculé sous les 1600$US l'once la semaine dernière, touchant un creux des sept derniers mois tout en étant marqué du sceau de «la croix de la mort». Il se négociait à 1572,40$US en fin de journée vendredi, en recul de 2,3% sur une semaine et de 12% depuis le début d'octobre. En trois questions, le point sur le pessimisme entourant le cours du précieux métal.

Q - Qu'est-ce qui explique la récente baisse du prix de l'or?

R - Les investisseurs privilégient généralement l'or pour deux raisons: se protéger contre l'inflation ou se prémunir d'une dévaluation du dollar américain.

Certains craignent une forte inflation après les mesures d'assouplissement quantitatif et les rachats d'obligations de la Réserve fédérale américaine. Or, ces craintes sont surfaites, affirment deux économistes de CIBC Marchés mondiaux, Avery Shenfeld et Emanuella Enenajor, dans un rapport intitulé Pourquoi le lustre de l'or s'estompera. Selon eux, non seulement la Fed n'envoie pas d'argent directement dans le système (elle l'affecte plutôt au bilan des banques), mais les autorités monétaires auront amplement le temps de réagir quand l'inflation menacera.

Le dollar américain est aussi en hausse, notamment par rapport à l'euro, et il y a de bonnes raisons de croire que cette tendance se poursuivra à la faveur des difficultés économiques du Vieux Continent, note Denis Durand, associé chez Jarislowsky Fraser. La hausse du billet vert est défavorable à l'or.

En même temps, observe Denis Durand, les investisseurs reprennent tranquillement goût aux actifs plus risqués, après les avoir fuis en 2011 et 2012. «Fatigués d'avoir un rendement de 1% avec les obligations, les investisseurs reviennent sur le marché des actions», dit-il. L'or, qui n'offre ni dividende ni intérêt, en a pâti aussi.

Les participations au plus important fonds négocié en Bourse basé sur de l'or physique (SPDR Gold Trust) ont retraité jeudi à leur plus bas niveau en cinq mois. Le célèbre investisseur George Soros a réduit de plus de moitié ces participations dans ce fonds.

Q - À quoi s'attendre du prix de l'or?

R - Les observateurs du marché ont fait grand cas la semaine dernière de la «croix de la mort». En analyse technique, cet événement survient quand la moyenne mobile des 50 derniers jours passe sous la moyenne mobile des 200 derniers jours. Cela préfigure une nouvelle baisse, selon des experts - même si certains ont montré que depuis 1972, les 22 croix de la mort recensées ont été suivies de gains à court terme plus élevés que la moyenne. Par contre, une baisse marquée du prix de l'or a suivi la précédente croix de la mort, au printemps 2012.

Depuis la fin de 2011, il n'y a jamais eu aussi peu d'experts optimistes sur le cours à très court terme de l'or. Moins de 30% des analystes, courtiers et investisseurs sondés hebdomadairement par l'agence Bloomberg prévoient une remontée du prix de l'or cette semaine.

«La baisse pourrait se poursuivre tant qu'il n'y aura pas une reprise plus substantielle de l'économie mondiale», soutient Denis Durand, de Jarislowsky Fraser. Sans reprise significative, les craintes d'inflation sont apaisées. Vincent Delisle, stratège à la Banque Scotia, croit aussi que l'or pourrait encore baisser et que le cycle haussier de 12 ans est terminé - l'or était à moins de 300$ en 2001.

«L'or aura encore ses jours de soleil de temps à autre, mais les nuages à l'horizon laissent présager des prix de l'or encore plus faibles au cours des deux prochaines années», prévoit CIBC Marchés mondiaux.

Il existe également un risque qu'une partie des stocks d'or détenus par les fonds négociés en Bourse consacrés à l'or - plus de 2500 tonnes, presque autant que ceux du Fonds monétaire international - soient déversés sur les marchés si les investisseurs choisissent de placer leur argent ailleurs.

Q - Faut-il investir dans l'or?

R - Denis Durand, chez Jarislowsky Fraser préfère attendre au moins jusqu'en 2014 - et une reprise économique significative - avant d'investir directement dans l'or. «Après la crise, il y avait la peur que les marchés s'effondrent et les gens voulaient se prémunir contre la baisse des autres actifs.» Ces craintes sont apaisées aujourd'hui, «et l'or ne paie pas de dividende et d'intérêt.»

Vincent Delisle, de Scotia, soutient qu'investir dans l'or n'est pas nécessaire actuellement. «Si on veut de l'exposition, on peut y aller avec une faible portion de son portefeuille, mais il faut surtout éviter d'être trop «croyant» dans les vertus du métal jaune.»

Les économistes de CIBC ne s'attendent pas à un «torrent de ventes d'or» dans les deux prochaines années, mais ils ajoutent que si la glissade anticipée vers les 1500$US l'once se concrétise, cela signifierait selon eux une sous-performance par rapport aux actions.

Reste la possibilité d'investir dans les sociétés minières aurifères, qui ont offert des rendements bien inférieurs à l'or dans les dernières années. Denis Durand n'y croit pas davantage. «Les sociétés minières aurifères ont trop compté sur une montée régulière du prix de l'or pour investir et découvrir de nouvelles réserves. Or, les coûts d'exploitation ont augmenté fortement et il y a eu d'importantes radiations d'actifs. Il y a encore un bout à faire avant que l'industrie se discipline.»