Le gouvernement Harper alimente l'incertitude économique en tardant à préciser les règles du jeu concernant l'achat d'entreprises canadiennes par des sociétés étrangères, estiment les gens d'affaires et les partis de l'opposition.

Le premier ministre Stephen Harper s'est défendu hier d'être hostile aux investissements étrangers après que son gouvernement eut rejeté, vendredi soir, la tentative d'achat de l'entreprise canadienne Progress Energy par le géant énergétique malaisien Petronas.

M. Harper a soutenu que son gouvernement est arrivé à la conclusion que cette transaction de quelque 6 milliards de dollars n'est pas à «l'avantage net du Canada». Il a ajouté que les acteurs de cette transaction disposent de 30 jours pour convaincre les autorités canadiennes de revenir sur cette décision.

Les représentants de Progress Energy et de Petronas ont fait savoir hier qu'ils comptent rencontrer les fonctionnaires du ministère de l'Industrie afin de comprendre leur décision et de trouver des «solutions éventuelles».

Le titre de Progress Energy et ceux d'autres entreprises du secteur de l'énergie ont reculé hier sur les marchés boursiers dans la foulée de cette annonce que plusieurs voient comme le prélude à un refus d'une autre transaction importante, soit l'offre d'achat de 15,1 milliards pour Nexen, de Calgary, par la société d'État chinoise China National Offshore Oil (CNOOC).

Le ministre de l'Industrie, Christian Paradis, a déjà réclamé un délai supplémentaire de 30 jours pour évaluer cette transaction, qui pourrait avoir des conséquences sur les relations entre le Canada et la Chine.

Dans le cas de la vente de Progress Energy, il s'agit de la troisième fois que le gouvernement Harper bloque une offre d'achat d'une entreprise canadienne par une société étrangère depuis son arrivée au pouvoir en 2006.

En 2008, Ottawa a empêché l'américaine Alliant Techsystems d'acheter la MacDonald Detwiller&Associates, de Vancouver, pour des raisons de sécurité nationale.

En 2010, le gouvernement Harper a refusé de donner sa bénédiction à la vente de la firme saskatchewanaise PotashCorp à la société australienne BHP Billiton. Après cette décision, le gouvernement conservateur avait promis une révision du cadre réglementaire de la Loi sur Investissement Canada afin de clarifier ce qui constitue un avantage net, mais il n'a toujours pas accouché de ces nouvelles règles.

Avant l'élection des conservateurs, aucun autre gouvernement n'avait rejeté une vente d'une entreprise canadienne à des intérêts étrangers en invoquant la Loi sur Investissement Canada, adoptée en 1985.

En conférence de presse, hier, M. Harper réitéré l'intention de son gouvernement de clarifier ces règles sous peu, en invitant au passage les gens d'affaires à faire preuve de patience.

«Notre point de vue est que les investissements étrangers, d'une manière générale, sont bénéfiques à l'économie canadienne. En règle générale, nous voyons d'un bon oeil l'intérêt étranger pour l'économie canadienne. Mais en même temps, nous tenons à respecter la Loi sur Investissement Canada qui nous oblige à évaluer si une transaction représente un avantage net pour le Canada. Notre gouvernement a décidé, dans certains cas, que ce n'était pas un avantage», a dit M. Harper.

C'est le ministre Christian Paradis qui a annoncé la décision du gouvernement vendredi soir. Dans une déclaration publiée samedi, Progress a fait part de sa déception à la suite de la décision d'Ottawa.

«Progress travaillera au cours des 30 prochains jours à déterminer la nature des problèmes et les solutions potentielles», a déclaré le président-directeur général de l'entreprise, Michael Culbert. «La santé à long terme de l'industrie canadienne du gaz naturel et le développement d'une nouvelle industrie d'exportation de gaz naturel liquéfié dépendent d'investissements internationaux, comme ceux de Petronas.»

Aux Communes, hier, le chef du Nouveau Parti démocratique, Thomas Mulcair, a accusé les conservateurs de nuire aux intérêts économiques du pays en tardant à préciser les règles du jeu. «En 2010, les conservateurs ont promis un processus clair et transparent en ce qui concerne l'évaluation des prises de contrôle par des intérêts étrangers. Deux ans plus tard, les Canadiens et les investisseurs étrangers ne savent toujours pas sur quel pied danser», a lancé M. Mulcair.

La Chambre de commerce du Canada (CCC) a aussi exprimé sa frustration hier. «Nous respectons la décision du gouvernement, mais elle inquiète le milieu des affaires. Le plus difficile à ce moment-ci est de ne pas connaître les règles et les paramètres», a affirmé Émilie Potvin, directrice des affaires publiques de la CCC.

«On ne sait pas ce qui a poussé le gouvernement à dire non, mais ce qui est plus inquiétant, c'est qu'on ne sait pas non plus ce qui motiverait le gouvernement à dire oui. Difficile de répondre à la question du bénéfice net pour le Canada quand on ne sait pas ce que ça veut dire», a-t-elle ajouté.