Oubliez le diamant et ses éclats. Le minerai carboné qui anime les sociétés minières ces jours-ci est noir et tache les doigts. Et les explorateurs ne dédaigneront jamais un minéral dont le prix a doublé en deux ans et dont la demande paraît assurée. Pendant que les scientifiques développent de nouvelles utilisations, le graphite fait l'objet d'une nouvelle ruée à laquelle le Québec et le Canada n'échappent pas.

En l'espace d'un peu plus de deux ans, une douzaine d'entreprises québécoises et canadiennes engagées dans l'extraction du graphite ont fait leur apparition à la Bourse de croissance du TSX (voir le tableau plus bas). Un engouement soutenu par une explosion de la valeur du minerai, mais aussi par les perspectives d'une demande abondante.

Les dernières années ont été fastes pour les producteurs de graphite. Alors que les flocons du minerai s'échangeaient à environ 1000$ la tonne en 2009, on en donnait jusqu'à 3000$ deux années plus tard. Le prix avoisine aujourd'hui les 1750 $ la tonne.

L'embellie a de quoi rappeler celle qui a récemment touché le marché des terres rares. Comme pour ces métaux, la production de graphite est essentiellement contrôlée par l'État chinois. De 65 à 80% de la production mondiale s'y fait, selon les estimations, ce qui permet à la Chine de dicter les prix.

«Depuis 2009, la Chine a créé un déséquilibre du marché du graphite en appliquant des politiques protectionnistes, explique Jonathan Lee, analyste de Byron Capital Markets. Ç'a été pour beaucoup dans la hausse des prix sur le marché.»

Selon lui, il faut aussi regarder du côté des nouvelles technologies pour comprendre le marché. C'est que le graphite ne sert plus seulement qu'à remplir la mine des crayons. Déjà prisé par l'industrie métallurgique pour sa résistance à la chaleur, il suscite maintenant l'intérêt parce qu'il entre dans la composition d'un élément important du stockage électrique: la batterie lithium-ion.

Ordinateurs portables, petits appareils électroniques, outils et voitures électriques tirent tous leur énergie de ces batteries à l'intérieur desquelles se cache une anode entièrement composée de graphite. Le matériau est si important qu'on en retrouve environ 40 kg dans la batterie d'une Nissan Leaf contre près de 20 kg de carbonate de lithium.

«Pour l'instant, le marché des batteries électriques ne représente que 5% de la demande mondiale pour du graphite naturel», indique Jonathan Lee. N'empêche, l'expert en matériaux de batteries électriques de Byron Capital Markets estime possible que la demande de ce secteur grimpe de 800% d'ici 2020.

«Selon notre modèle le plus ambitieux, la production mondiale annuelle de voitures électriques pourrait atteindre 5 millions de véhicules d'ici 2020, dit-il. Si les batteries de ces voitures sont composées à 90% de graphite naturel, il y aurait là un besoin représentant de 400 000 à 450 000 tonnes de graphite naturel.»

Car il y a un «si». L'anode de graphite des batteries électriques actuelles se compose à parts égales de graphite naturel et de graphite synthétique, un matériau fabriqué à partir de dérivés du pétrole. Offrant des propriétés physiques plus constantes que le graphique naturel, la version artificielle est préférée des fabricants pour raisons de fiabilité, et ce, même si son prix est de deux à trois fois plus élevé.

Comme en font état les prévisions de Jonathan Lee, la situation pourrait toutefois changer d'ici quelques années au profit du graphite naturel. «Ce qui est bien pour les minières, c'est que les fabricants cherchent à augmenter la proportion de graphite naturel dans les batteries pour faire baisser leur coût de production», ajoute-t-il.

Du graphite au graphène

Pendant que les sociétés minières s'attardent au graphite, les entreprises de haute technologie comme IBM, Nokia et Samsung cherchent à développer de nouveaux produits à partir d'un matériau prometteur issu de ce dernier: le graphène.

Microprocesseurs, écrans tactiles, diodes électroluminescentes, cellules photovoltaïques, fenêtres intelligentes, capteurs de toutes sortes: les applications potentielles du graphène ne trouvent de limite que dans la tête des chercheurs.

C'est que le matériau se distingue à plusieurs niveaux. Excellent conducteur électrique et thermique, il est aussi 200 fois plus résistant que l'acier et allie flexibilité, élasticité et transparence. Tout ça dans une feuille de carbone de l'épaisseur d'un atome que l'on peut isoler avec du ruban adhésif appliqué à la surface d'un flocon de graphite.

«Le graphène allie tellement de qualités que c'est difficile de déterminer laquelle de ses propriétés sera la plus porteuse», explique Alexandre Champagne, professeur de physique à l'Université Concordia qui étudie les propriétés mécaniques et électriques du graphène et des nanotubes de carbone.

Les promesses annoncées pour le graphène rappellent d'ailleurs celles qu'on faisait pour les nanotubes il y a quelques années. Selon Alexandre Champagne, l'attention se tourne maintenant vers le graphène pour une raison toute simple: il est en deux dimensions. «On croit donc pouvoir l'intégrer dans les procédés déjà existants, ajoute-t-il. C'est pour ça par exemple que l'industrie des microprocesseurs s'intéresse plus au graphène qu'aux nanotubes.»

Selon Alain Rochefort, professeur de génie physique à l'École polytechnique de Montréal et spécialiste des nanostructures ayant déjà collaboré avec IBM, les plus friands de nouvelles technologies attendront encore au moins une dizaine d'années avant de voir sur le marché des applications à base de graphène. «Le problème, c'est d'amener ces développements technologiques à l'échelle industrielle, explique-t-il. Il faudra avoir un peu plus de contrôle sur le matériau avant de penser à développer des procédés industriels.»

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Graphène: un prix Nobel à la clé

C'est en 2004, dans leur laboratoire de l'Université de Manchester au Royaume-Uni, que les physiciens Andre Geim et Konstantin Novoselov ont isolé puis caractérisé pour la première fois le graphène.

Dans une expérience «du vendredi soir», alors qu'ils se permettaient des travaux inusités, les deux chercheurs ont appliqué un ruban adhésif à un flocon de graphite pour réussir ce que leurs confrères croyaient impossible: isoler un feuillet de l'épaisseur d'un seul atome. Un nouveau matériau était né, le graphène.

La découverte a transformé la recherche en électronique. Par ses propriétés de conduction électrique et thermique, de solidité et de flexibilité, le graphène a rapidement porté l'étiquette de «matériau miracle». Un impact à ce point important que Geim et Novoselov ont remporté six ans plus tard, en 2010, le prix Nobel de physique.

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