Certains veulent en profiter pour spéculer et s'enrichir. Les stations-service montent au front pour le dénoncer. Une entreprise de recyclage de frigos compte sur lui pour sa survie. Si tout va comme prévu, c'est en janvier que démarrera le tout premier marché du carbone réglementé au Québec. Et sur le terrain, les manoeuvres vont bon train.

Recyclage ÉcoSolutions: vendre des crédits pour survivre

Un mercredi après-midi, dans une usine de Laval, une pile de vieux frigos s'apprête à passer un mauvais quart d'heure.

Armés de pinces et de marteaux, deux employés baraqués comme des videurs de bar arrachent avec fracas les portes et les tiroirs des appareils.

Ce n'est que le début de l'entreprise de démolition. Les frigos bosselés sont ensuite hissés par des bras mécaniques, puis on vient planter une seringue géante dans leur carcasse.

Cette seringue aspire les gaz réfrigérants contenus dans les conduits des réfrigérateurs. Ces gaz sont la raison d'être de Recyclage ÉcoSolutions, l'entreprise où se déroulent les manoeuvres. D'abord parce qu'ils sont polluants - jusqu'à 10 900 fois plus nocifs pour le climat que le CO2. Ensuite, parce qu'avec l'arrivée imminente de la Western Climate Initiative, le marché réglementé qui démarrera ses activités le 1er janvier prochain au Québec, ils pourraient s'avérer drôlement payants.

Recyclage ÉcoSolutions tente en effet un coup peu banal: transformer ces vieux gaz réfrigérants en crédits compensatoires, des produits financiers qui pourraient bientôt se négocier entre le Québec et la Californie dans le cadre de la Western Climate Initiative (WCI). Si ses crédits sont reconnus par les autorités comme elle le prévoit, Recyclage ÉcoSolutions pourrait être assise sur plusieurs millions de dollars. Peu d'entreprises québécoises ont des projets aussi avancés, et de telles sommes en jeu.

«On va être les premiers au Québec à pouvoir vendre des crédits compensatoires», prétend Alain Boisvert, président de Recyclage ÉcoSolutions.

Pour récolter ces crédits, l'entreprise ne fait pas les choses à moitié. En plus d'aspirer les gaz des conduits des frigos, elle s'attaque aussi à la mousse isolante des appareils, une grande oubliée qui peut contenir jusqu'à quatre fois plus de gaz à effet de serre (GES) que le système de réfrigération lui-même.

Pour extraire ces gaz de la mousse, Recyclage ÉcoSolutions hache littéralement les réfrigérateurs en morceaux dans une machine spéciale. Les copeaux qui en sortent sont triés pour séparer la mousse du plastique et du métal. Cette mousse est ensuite broyée, puis chauffée, pour en extraire la moindre bulle de gaz.

Chaque frigo ainsi passé à la moulinette évite l'émission de gaz équivalents à ceux dégagés par une voiture qui roulerait jusqu'à 17 500 kilomètres. Depuis 2008, c'est 850 000 tonnes de CO2 que Recyclage ÉcoSolutions a empêchées de parvenir dans l'atmosphère.

Pour des raisons techniques, le grand patron, Alain Boisvert, estime qu'environ la moitié de ces tonnes pourraient être converties en crédits compensatoires dans le cadre de la WCI. À raison du prix plancher de 10$ la tonne fixé par Québec, l'affaire représente un joli magot de 4,25 millions de dollars. Et le chiffre pourrait considérablement augmenter si le prix des crédits s'emballe. La banque Barclays, par exemple, croit que celui-ci pourrait atteindre jusqu'à 80$ la tonne en 2018.

Ces dollars encore hypothétiques, Recyclage ÉcoSolutions en aurait bien besoin. L'entreprise a été mise sur pied dans la foulée du programme Recyc-Frigo, d'Hydro-Québec, qui perd en popularité. Aujourd'hui, elle fait face à un double défi: trouver des frigos pour alimenter ses opérations, et toucher assez de revenus par frigo pour retrouver une rentabilité perdue.

«Pour nous, le marché du carbone, c'est carrément une question de survie, dit M. Boisvert. Mais ça ne répond qu'à une partie de nos défis. Pour l'autre, ce qu'on aimerait voir, c'est un programme provincial de recyclage visant l'ensemble des réfrigérateurs usagés.»

Fonds de solidarité FTQ: de nouveaux risques à gérer

Le marché du carbone ne touchera pas que les entreprises. Il amène aussi tout un lot de nouveaux paramètres à gérer pour les investisseurs.

Le Fonds de solidarité FTQ, qui possède des investissements dans quelque 2200 entreprises au Québec, a créé un «comité carbone» justement dans ce but.

«Si une entreprise partenaire se retrouve avec un passif qu'elle n'avait pas autrefois, et qu'une autre ne profite pas suffisamment d'un nouvel actif qu'elle possède, on doit pouvoir le comprendre et être capable d'aider à l'action», explique Michel Dorion, conseiller juridique senior au Fonds.

Avec le Mouvement Desjardins, le Centre d'excellence en efficacité énergétique, la Coop fédérée, le Fondaction CSN et l'Association québécoise pour la maîtrise de l'énergie, le Fonds de solidarité FTQ a aussi mis sur pied la Coop carbone.

Son rôle est double. D'abord, suivre l'évolution de la réglementation entourant les marchés du carbone et en informer ses membres. Ensuite, regrouper les entreprises qui voudraient générer des crédits de carbone, mais qui n'ont pas le volume suffisant pour le faire seules.

PHOTO ÉRICK LABBÉ, LE SOLEIL

INVESTISSEURS: acheter des crédits pour spéculer

François Verreault l'admet d'emblée: s'il s'intéresse au marché du carbone, ce n'est pas par conviction environnementale.

Mais quand le moment lui semblera opportun, il achètera des crédits de carbone. En son nom personnel, en tant que particulier.

«Ce qui m'intéresse, c'est uniquement le plaisir de spéculer, dit-il. Tant qu'à acheter des actions de Bombardier qui stagnent ou de Research in Motion qui n'arrêtent pas de descendre...»

Le projet de règlement du gouvernement du Québec stipule que les particuliers peuvent présenter une demande pour acquérir des crédits de carbone depuis le 1er mai dernier. Celle-ci se fait directement auprès du ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs.