Au Québec, on entend plus souvent la voix de ceux qui s'opposent au nucléaire que celle de ceux qui en vivent. La population du Centre-du- Québec attend avec impatience la décision du gouvernement sur l'avenir de la seule centrale nucléaire du Québec et craint de lourdes pertes si le projet de réfection est abandonné.

Plus les jours passent et plus le silence gouvernemental inquiète la communauté d'affaires de la Mauricie et du Centre-du-Québec. Le déclenchement imminent d'une campagne électorale leur fait craindre le pire.

La rénovation de la centrale nucléaire risque d'être prise en otage dans le débat électoral, déplore le président de la Chambre de commerce et d'industrie du Coeur-du-Québec. Jean-Denis Girard trouve ça désolant. «Il faut penser plus loin que le bout de notre nez», dit Jean-Denis Girard, qui connaît le poids politique des opposants au nucléaire.

«Les gens qui sont contre ne viennent pas de la région», dit-il.

S'opposer est devenu le sport national des Québécois, peu importe le sujet d'ailleurs. Des pancartes proclamant «Non au gaz de schiste» sont d'ailleurs apparues lors de la dernière conférence de presse des gens d'affaires de la Mauricie qui s'inquiétaient de la paralysie du chantier de la centrale nucléaire.

Jean-Denis Girard en est un peu découragé. ll appréhende le pire.

S'il est élu, le Parti québécois de Pauline Marois a déjà annoncé ses couleurs: il fermera la seule centrale nucléaire du Québec. Pour la Coalition pour l'avenir du Québec de François Legault, c'est moins clair. Le chef du parti a dit ne pas être contre l'énergie nucléaire, mais il ne s'est pas prononcé en faveur du projet de réfection lancé par les libéraux de Jean Charest.

Abandonner le projet de réfection de la centrale alors que 1 milliard de dollars a été dépensé en travaux préparatoires est un non-sens, estime Jean-Denis Girard. «Ce serait une très mauvaise décision de revirer de bord après avoir dépensé autant d'argent. Ce serait comme démolir une maison après avoir construit le solage et les murs».

La région a beaucoup souffert des difficultés de l'industrie des pâtes et papiers et de la fermeture de Norsk Hydro, survenue en 2007. La réfection de Gentilly 2 est le seul projet industriel d'envergure que la communauté d'affaires a actuellement à se mettre sous la dent.

Les retombées régionales de la centrale vont bien au-delà de celles calculées par Hydro-Québec, selon Jean-Denis Girard. Il estime que 40% des salaires variant de 80 000$ à 110 000$ des 800 employés de la centrale sont dépensés dans la région. «Ça veut dire des bottes de travail chez Chaussures Maxime, à Gentilly et des réparations au garage Bouvette», illustre-t-il.

«On n'est pas pour ou contre le nucléaire, mais pour les retombées régionales», résume Jean-Denis Girard.

Ce n'est pas le Québec qui tranchera le débat pro ou anti nucléaire, renchérit Luc Vermette, président-directeur général de la firme d'ingénierie Johnston-Vermette.

«Le marché nucléaire, peu importe ce que nous déciderons, va continuer à croître dans le monde parce que c'est une forme d'énergie qui répond aux besoins de plusieurs pays», explique-t-il, attablé pour un lunch rapide dans une pizzeria bondée de Bécancour.

Johnston-Vermette a obtenu des contrats d'Hydro-Québec pour la préparation des travaux de réfection. Si le projet va de l'avant, elle en obtiendra probablement d'autres. Mais si le gouvernement fait volte-face, elle s'en remettra. «On fera autre chose», assure son PDG.

Mais le Québec y perdra, selon lui. «Nous ne sommes pas à décider si on se lance dans le nucléaire, nous sommes à décider si on reste, et si on devient un modèle mondial en sécurité nucléaire.»

Gentilly-2 n'appartient pas à une entreprise privée, rappelle-t-il. «Hydro-Québec a fait de Gentilly-2 une centrale nucléaire reconnue mondialement pour sa gestion sécuritaire». Avec l'expertise en place à la centrale, dans les universités du Québec et chez SNC-Lavalin qui vient de faire l'acquisition d'Énergie atomique du Canada, le Québec a une base sur laquelle il peut bâtir quelque chose, estime Luc Vermette.

Comme d'autres l'ont déjà fait, Luc Vermette et Jean-Denis Girard soulignent que la seule centrale nucléaire du Québec est aussi une police d'assurance pour le réseau d'Hydro-Québec, qui dépend entièrement de réservoirs et de lignes de transport d'électricité situés très loin au nord.

«C'est important de ne pas mettre tous nos oeufs dans le même panier», croit Jean-Denis Girard.

Récemment, le ministre du Développement économique régional, Sam Hamad, est venu dans la région pour annoncer l'intention de la multinationale Rio Tinto d'examiner la possibilité de produire de oxyde de titane dans une usine qui serait construite à Bécancour.

L'annonce de ce projet de 4 milliards serait-elle comme un prix de consolation pour une région à qui le gouvernement s'apprête à annoncer qu'il renonce à rénover la centrale nucléaire?

On a déjà posé cette question au président de la Chambre de commerce du Coeur-du-Québec. Sa réponse: «J'espère que non.»

«Le projet de Rio Tinto n'est pas sûr de se réaliser. En plus, ce n'est pas pour demain. La région a besoin des deux. On a plus que donné dans les pertes d'emplois au cours des dernières années».

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LES ÉTAPES IMPORTANTES

1983

Mise en service de la centrale

2003

Première évaluation du coût de la réfection à 850 millions

2008

Annonce de la réfection au coût de 1,9 milliard (7,2 cents/kWh)

2010

Premier report d'un an en raison des problèmes à Point Lepreau

2011

Deuxième report à cause de la catastrophe de Fukushima

2012

Nouvelle évaluation du coût de la réfection à 2,5 milliards (11 cents/kWh)

Janvier 2012

Ralentissement et paralysie du chantier

Décembre 2012

Arrêt prévu du réacteur

GENTILLY-2

675 mégawatts

3%

de la production d'Hydro-Québec

DES RETOMBÉES EN SUSPENS

750

emplois maintenus

2000

travailleurs pendant la rénovation

600 millions

Retombées économiques au Québec

200 millions

Retombées pour la région

Source: Hydro-Québec

(270 000 foyers)