La nation crie de Mistissini a réitéré hier soir son opposition catégorique au projet d'exploration d'uranium Matoush, de Ressources Strateco. «On veut dès maintenant mettre un point final à la question du développement uranifère, et ce, une fois pour toutes, a déclaré le chef Richard Shecapio. Nous voyons bien la direction prise par ce projet d'exploration, et nous ne voulons aucun projet de mine d'uranium.»

M. Shecapio devait s'exprimer hier soir dans le cadre des audiences publiques tenues par la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN), après notre heure de tombée. Mais le communiqué accompagnant sa présentation était sans équivoque: non seulement Mistissini dit non à Matoush, mais elle souhaite l'instauration d'un moratoire sur le développement de l'uranium sur ses terres ancestrales, et partout au Québec.

«À la lumière des lacunes constatées en matière d'acceptabilité sociale, de l'incompatibilité à l'égard de notre culture et du manque de compréhension claire quant aux impacts du projet de mine d'uranium sur la santé et l'environnement, ce serait téméraire de la part de notre peuple d'aller de l'avant et d'accorder une licence pour le projet d'exploration avancée de Strateco», affirme le chef.

Le chef Shecapio se dit inquiet des conséquences néfastes de l'uranium sur l'environnement et la santé. Selon lui, la démonstration des autorités environnementales provinciale et fédérale, indiquant que le projet ne présentait qu'un risque faible, n'a pas convaincu les Cris. Selon M. Shecapio, la seule perception qu'il pourrait y avoir contamination suffira à transformer la relation des Cris avec leur territoire.

Les efforts de Strateco pour mieux communiquer et informer les Cris ne sont toujours pas à la hauteur des attentes de la communauté, a précisé le chef Shecapio. Il a aussi pris position contre l'énergie nucléaire, refusant que les Cris s'engagent dans cette filière.

Que feront les autorités?

Strateco veut construire une rampe souterraine afin de compléter l'exploration du gisement d'uranium et d'obtenir davantage d'information, notamment sur les eaux souterraines. Le tribunal de la CCSN a 30 jours ouvrables après les audiences pour déterminer si elle délivre son permis. Si la décision est favorable à Strateco, il ne resterait qu'à la sous-ministre de l'Environnement du Québec à donner son aval, en vertu de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ). Le ministre fédéral de l'Environnement a déjà approuvé le projet.

Malgré l'opposition ferme des Cris, les autorités pourraient néanmoins autoriser Strateco à aller de l'avant. Il existe bel et bien dans la CBJNQ une obligation de consulter les autochtones pour les projets de développement. Selon la Convention, le consentement autochtone est obligatoire pour certains territoires (les réserves et les zones adjacentes), mais le projet Matoush est situé dans une autre catégorie de terres, appartenant à la Couronne, note Nadir André associé spécialisé en droit autochtone au bureau d'avocats BCF. Le consentement n'y est pas obligatoire.

«Dans la mesure où les Cris ont été dûment consultés de la manière prévue aux traités, à travers une consultation de bonne foi et de bonne volonté, il n'y a pas de droit de veto», résume Maxime St-Hilaire, professeur de droit constitutionnel à l'Université de Sherbrooke.

Quant à l'acceptabilité sociale, «ce n'est pas un critère législatif ou jurisprudentiel pour qu'un projet se réalise», explique Nadir André. C'est au promoteur ou à l'État d'en faire une condition ou non.

Mais même si la CCSN est tout à fait dans son droit d'accorder le permis malgré l'opposition, «ce serait mettre de l'huile sur le feu», estime un consultant possédant une vaste expérience en milieu autochtone, joint par La Presse Affaires. «Je vois très mal la Commission aller de l'avant.»