Un peu partout au Québec, des villes rêvent de sentiers pédestres, de marinas, d'appartements en copropriété et de haute technologie pour combler les immenses espaces abandonnés par Abitibi-Bowater et les autres géants vaincus de l'industrie des pâtes et papiers. Des sites extraordinaires, stratégiquement situés, mais contaminés et inabordables pour beaucoup de municipalités aux moyens modestes.

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Trois-Rivières: un rêve d'un demi-milliard

De tout temps, Trois-Rivières a été une ville de travail et de travailleurs. Une ville industrielle qui a vécu de ses fonderies, de ses alumineries et surtout, de ses papeteries. À l'ère numérique, la capitale mondiale du papier journal aurait pu sombrer dans l'oubli. Les usines ont fermé l'une après l'autre, les cheminées ont cessé de cracher leur fumée, l'air s'est assaini.

La fermeture de l'ancienne CIP, relancée sous le nom de Tripap, a créé un cratère gigantesque au coeur de la ville.

L'administration municipale a réagi en proposant Trois-Rivières-sur-Saint-Laurent, un gigantesque projet de plus de 500 millions qui transformera la ville. «On a décidé d'en faire un milieu de vie», dit le maire Yves Lévesque, l'enthousiaste promoteur du projet.

«Je suis quelqu'un qui a de grandes ambitions, reconnaît-il. Gérer les vidanges et le déneigement, tout le monde est capable de faire ça. Il faut avoir des projets. Ça oblige à prendre des risques.»

Le risque que le maire a pris, c'est de racheter le site grand comme 60 terrains de football. Prix payé: 17 millions, à Excavations René St-Pierre, qui l'a acheté après la fermeture de l'usine et l'a décontaminé.

La Ville veut en faire un endroit où les Trifluviens de souche ou d'adoption pourront habiter, se divertir, faire du sport et magasiner. Peut-être aussi travailler, dans le Technoparc intégré dans Trois-Rivières-sur-Saint-Laurent.

Il s'agit d'un site extraordinaire, comme c'est souvent le cas des emplacements choisis par les entreprises au début du siècle dernier. Il s'ouvre à la fois sur le fleuve et sur la rivière Saint-Maurice, et jouxte le centre-ville et le port.

Dans quelques semaines, la Ville annoncera le choix du promoteur qui construira 800 résidences et condos notamment, qui abriteront jusqu'à 2000 personnes. C'est autant de résidents qu'il y a déjà eu de travailleurs à l'usine.

«L'usine rapportait 2,5 millions de taxes par année, et le projet nous en rapportera 45 millions», se réjouit le maire Lévesque.

Grâce à une pluie de subventions fédérales et provinciales, l'endroit accueille déjà Boréalis, un musée consacré à l'histoire de l'industrie des pâtes et papiers. Un amphithéâtre de 50 millions est en construction et les bases du Technoparc sont là.

Un marché public d'un genre unique devrait s'y greffer. Ce sera un marché à la fois agro-alimentaire et culturel, qui fera en sorte que les visiteurs se croiront à DisneyWorld, précise le maire.

Il devrait aussi y avoir un pont pour relier le nouveau quartier à l'île-Saint-Quentin, sa plage et sa marina, tout proche.

Selon Yves Lévesque, les trois quarts du demi-milliard de dollars qui seront investis dans Trois-Rivières-sur-Saint-Laurent viendront du privé, le quart seulement du secteur public.

Malgré toutes les pertes d'emplois qu'a subies Trois-Rivières depuis 10 ans, le taux de chômage n'a pas augmenté. Des entreprises comme Premier Aviation, qui fait l'entretien des avions, ont choisi de s'y installer. La population a crû de 123 000 à 130 000 personnes.

Ça veut dire que tranquillement, la ville réussit à se repositionner, affirme le maire. «Aujourd'hui, les gens accordent plus d'importance à la qualité de vie. Il y a le travail, mais plus seulement le travail. Trois-Rivières a tous les avantages d'une grande ville, sans les inconvénients.»

TROIS-RIVIÈRES

PFCP

1200 emplois

(1er fermeture en 1992)

Tripap

207 emplois

(2e fermeture en 2000)

Terrain

3,5 millions de pieds carrés

Acquis par la Ville pour 17 millions

Revenus de taxes perdus 2,5 millions/année

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PHOTO LE NOUVELLISTE

Le maire de Trois-Rivières, Yves Lévesque, a de grandes ambitions pour les anciens terrains de la société papetière Tripap.

Donnacona: une fenêtre sur le fleuve

Dans ses rêves, Donnacona voit un parc riverain dérouler son ruban devant la ville et des maisons s'ériger à la place de l'usine abandonnée en 2008 par AbitibiBowater.

«Ce serait le prolongement de notre parc des Berges, avec un accès au fleuve et à la rivière Jacques-Cartier, dit Benoit Filion, directeur du service d'urbanisme de la ville de Donnacona. C'est l'idée que la Ville a en tête.»

Ce qui serait un projet tout à fait réalisable ailleurs est hors de portée pour Donnacona. Le hic? Le prix du terrain.

AIM, l'entreprise de Montréal qui a fait sa fortune dans la ferraille, demande 30 millions pour le terrain de 3,5 millions de pieds carrés, une superficie plus grande que le centre-ville de Donnacona.

Pour une ville de 6000 habitants, comme Donnacona, 30 millions de dollars est une somme énorme. «C'est trois fois notre budget annuel», illustre Benoit Filion.

Le site est exceptionnel, c'est vrai. Malgré le potentiel qu'il offre pour améliorer son sort, la Ville est forcée de rester sur la ligne de touche. «On a décidé pour le moment de laisser aller le marché», dit-il.

La patience est de rigueur quand il s'agit de donner une nouvelle vie à des lieux aussi gigantesques. À Shawinigan, par exemple, l'usine d'AbitibiBowater fermée depuis cinq ans est toujours en démolition. Le propriétaire du site, Recyclage Arctic Beluga, est à la recherche d'investisseurs. La Ville souhaite ardemment conserver la vocation industrielle du site et les emplois qui viennent avec.

Donnacona ne cracherait pas sur des emplois supplémentaires, Mais la Ville s'est dotée d'un parc industriel à l'autre extrémité de son territoire et rêve plutôt de rouvrir sa fenêtre sur le fleuve, une fenêtre fermée depuis 1922.

AIM n'a pas encore fini de démanteler les installations d'AbitibiBowater. Elle a commencé par les installations les plus anciennes et gardé les plus modernes pour la fin. Au cas où...

Jusqu'à tout récemment, le comité de relance pensait pouvoir trouver un repreneur pour la machine numéro quatre, un équipement pratiquement neuf qui avait coûté 300 millions en 2000.

Cet espoir s'est évanoui. Si des acheteurs étaient intéressés par les restes de l'usine, ils se seraient manifestés avant, selon Benoit Filion.

La Ville a pu mettre la main sur le terrain de golf qui appartenait à Abitibi, à un prix raisonnable. Il ne lui reste plus qu'à attendre de savoir à qui AIM vendra son terrain. Et à espérer que les vues du nouveau propriétaire iront dans le même sens que les siennes.

DONNACONA

250 emplois

Usine fermée en 2008

Terrain de 3,5 millions de pieds carrés

Revenus de taxes perdus

1 million/année

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PHOTO MATHIEU BÉLANGER, COLLABORATION SPÉCIALE

Le terrain de l'usine Abitibi-Bowater à Donnacona.

Beaupré: la charité SVP

L'usine d'AbitibiBowater, à Beaupré a laissé ses 368 travailleurs en plan en octobre 2009. Le maire Michel Paré s'en souvient comme si c'était hier. «C'était deux semaines avant mon élection», dit-il.

Comme c'est le cas lorsqu'une tuile de ce genre tombe sur une communauté, les premiers efforts ont porté sur la relance de l'usine. Pendant des mois, la Ville a tenté d'intéresser des industriels au site situé au confluent de la rivière Sainte-Anne et du fleuve Saint-Laurent. En vain, malgré les atouts évidents du terrain.

«C'est à 20 minutes de Québec, au bord de l'eau, avec des installations électriques de 100 mégawatts et un chemin de fer», résume le maire.

La Ville ne veut pas voir pousser les condos et les néo-manoirs à cet endroit. «On veut garder sa vocation industrielle, parce que c'est le seul endroit qu'on a pour faire du développement industriel. Dans quelques années, il va manquer d'espace industriel dans la région», dit le maire, très convaincu.

Côté résidentiel, la ville a fait le plein ces dernières années. La proximité du mont Sainte-Anne a attiré des centaines de nouveaux résidants, saisonniers et permanents. La population de Beaupré, officiellement de 3200 personnes, a aussi 3800 résidants saisonniers.

Beaupré aimerait offrir à ses résidants des emplois à proximité de leur milieu de vie, dans des créneaux d'avenir: les technologies vertes, les nouveaux usages du bois, la fabrication d'équipement de sports et de loisirs. «Le but, dit le maire, c'est de créer plus d'emplois qu'on en a perdu avec la fermeture de l'usine.»

Six projets ont été examinés, deux se sont avérés plus intéressants et aucun ne s'est réalisé. La chasse se poursuit.

En attendant, la Ville a autorisé la démolition de l'usine, rachetée par le ferrailleur American Iron and Metal (AIM), la firme d'Herbert Black, du syndic Ernst&Young responsable de la restructuration d'AbitibiBowater.

Le maire a un oeil sur une petite partie du terrain gigantesque qu'occupait l'usine. Il s'agit de deux bandes riveraines qui lui permettraient de faire des sentiers de ski de fond et de randonnée de donner un accès au fleuve à l'ensemble des résidants de la Côte-de-Beaupré.

L'intention est louable, mais les fonds manquent. L'écart entre le prix demandé par AIM et les moyens de la Ville étant trop important, Beaupré a offert en paiement à Herbert Black une somme en argent et le reste en reçus de charité, qui sont intéressants pour réduire l'impôt à payer d'une entreprise rentable comme la sienne.

Une municipalité n'est peut-être pas une soupe populaire, mais elle peut tout à fait légalement émettre des reçus de charité, assure Michel Paré.

Ce que confirme le ministère québécois du Revenu, qui accepte par le fait même que tous les contribuables du Québec se trouvent indirectement à payer la facture des terrains acquis de cette façon.

À Beaupré, le maire attend toujours une réponse d'AIM à son offre pour le petit bout du terrain d'AbitibiBowater. Pour le reste, il s'en remet au ferrailleur qui trouvera sûrement le moyen de rentabiliser son investissement après l'achat, la démolition et la décontamination de la plus grande partie du site.

«On est à la merci du marché», admet le maire Paré.

BEAUPRÉ

368 emplois

Usine fermée en 2009

Terrain de 5 millions de pieds carrés

Revenus de taxes perdus

335 000 dollars / année

Photo archives Le Soleil

L'usine d'Abitibi Consolidated de Sainte-Anne, à l'époque où elle était en activité.