Une société minière développe un projet d'uranium dans les limites d'un futur parc innu, dans le secteur des monts Otish. En raison de droits acquis, Ressources Abitex peut explorer dans une zone où l'émission de nouveaux titres miniers est désormais interdite.

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La petite société de Val-d'Or travaille sur la propriété Lavoie, le deuxième projet d'uranium le plus avancé au Québec - derrière Matoush, un peu plus à l'ouest. La propriété est détenue à parts égales par le géant nucléaire français Areva et la SOQUEM, filiale d'Investissement Québec, mais Abitex a une option pour gagner 50% du projet.

La propriété est située à l'extrême nord du territoire ancestral des Innus (Montagnais) du Lac-Saint-Jean, dans un vaste secteur où ceux-ci prévoient l'établissement du parc innu Otish - à ne pas confondre avec le parc national projeté Albanel-Témiscamie-Otish, un peu plus au nord.

L'expectative

Pour l'instant, tout le monde est dans l'expectative. En 2004, des communautés innues ont conclu une entente de principe avec Québec et Ottawa sur la reconnaissance de leurs droits ancestraux sur leur territoire (Nitassinan), incluant la délimitation de territoires que les Innus souhaitent protéger. Or, cela n'a toujours pas mené à une entente formelle.

Depuis 2008, une réserve à l'État empêche l'émission de titres miniers sur les territoires des parcs prévus, mais les titres antérieurs, comme ceux de la propriété Lavoie, sont toujours valides. Abitex peut continuer d'y travailler.

Le Conseil des Montagnais du Lac-Saint-Jean (Mashteuiatsh), regarde avancer le projet sans pousser de hauts cris pour l'instant. «Mais on maintient notre position de vouloir faire un parc, dit Florent Bégin, vice-chef aux affaires extérieures, en entretien avec La Presse Affaires. Naturellement, ce projet vient en contradiction avec les valeurs et la mission mêmes d'un parc.»

Incompatibilité

«Le parc est incompatible avec le développement minier, ajoute Carl Cleary, directeur des affaires extérieures par intérim. Les gouvernements en sont conscients et c'est un bug à la table de négociations.»

Florent Bégin évoque la possibilité que le gouvernement exige l'exclusion des titres miniers valides du territoire du futur parc. Dans ce cas, «il faudrait négocier serré pour avoir des terres de remplacement dans le parc, mais ce n'est pas notre premier choix.»

Avec ce projet situé sur la ligne de partage des eaux se pose aussi toute la question des bassins versants. Même si le projet voit le jour juste à l'extérieur des limites du parc, cela pourrait poser problème, note Carl Cleary.

Mais le Conseil ne se prononce pas sur le projet Lavoie en tant que tel. «Tant qu'il n'y a pas de traité, tout ça flotte», dit le vice-chef.

Pas de lunettes roses

Le président et chef de la direction d'Abitex, Yves Rougerie, concède que la situation présente un risque pour son projet. «C'est une question qui devra être discutée, négociée et résolue avec les Premières Nations», note-t-il en ajoutant que les lignes de communication sont ouvertes avec les Innus.

M. Rougerie ne met pas de lunettes roses quant à la perception de l'uranium au Québec. «On voit toutes les difficultés de Strateco [avec Matoush, auquel s'opposent les Cris]. De notre côté, on doit s'attendre à ce que ce ne soit pas plus facile. Et il y a aussi la question de l'acceptabilité sociale de l'uranium à l'échelle de la province.»

Selon l'évaluation économique préliminaire publiée en janvier, une éventuelle exploitation minière générerait des revenus de 636 millions, pour des investissements initiaux de 110 millions. La valeur nette du projet, avant taxes et incluant les coûts d'exploration, est de 88 millions. Les ressources exploitables s'élèvent à 9,5 millions de livres d'uranium.

»Un projet rentable»

Ce n'est pas un projet énorme, «mais on voulait montrer que même dans sa phase actuelle, c'est un projet qui est rentable», soutient Yves Rougerie. Il estime cependant que le gisement offre un très grand potentiel en profondeur et que les ressources pourraient augmenter substantiellement dans le futur. «On pense facilement qu'on peut égaler l'ampleur de Matoush.»

Pour l'instant, la taille du projet ne permettrait pas la construction d'une usine de traitement. Il faudrait plutôt utiliser l'usine que compte construire Strateco pour le projet Matoush.

Abitex consacrera 12 millions au cours des trois prochaines années pour augmenter la taille du gisement et achever une étude de préfaisabilité.

Pour joindre notre journaliste: hfontaine@lapresse.ca