Les citoyens de la petite ville de Casale Monferrato, dans le Piémont, au nord de l'Italie, vont connaître lundi le verdict d'un gigantesque procès pour homicide. Pratiquement tous connaissent une victime: il y en a eu 3000.

Les accusés: le milliardaire suisse Stephan Schmidheiny et le baron belge Jean-Louis Marie Ghislain de Cartier de Marchienne, deux dirigeants de la société Eternit, qui exploitait une usine d'amiante-ciment dans cette ville de 36 000 habitants jusqu'en 1986.

Les deux hommes n'ont jamais comparu et ils sont inculpés par contumace. Ils risquent 20 ans de prison. Le procès se déroule à Turin depuis avril 2009.

Selon des témoignages entendus au procès et reproduits dans le documentaire Poussière mortelle, diffusé l'automne dernier en Europe, les dirigeants d'Eternit ont toujours minimisé les dangers de l'amiante.

«Eternit a nié et ridiculisé (ceux qui s'inquiétaient), relate Bruno Pesci, ancien fonctionnaire du travail à Casale. L'attitude a toujours été de nier.»

Les premières études démontrant la toxicité de l'amiante remontent aux années 50. En 1962, le lien a été établi pour le cancer de la plèvre (mésothéliome) et du péritoine. Mais, a-t-on souligné au procès, Eternit a commencé seulement en 1976 à songer à prendre des précautions dans la manipulation de l'amiante.

Le Québec, sujet de documentaire

C'est à cette époque que le discours sur l'usage sécuritaire de l'amiante a émergé. Ce discours vient du Québec, selon ce qui a été dit au procès Eternit.

Le documentariste Niccolò Bruna a voulu suivre cette piste québécoise. Il a demandé une entrevue avec Clément Godbout, de l'Institut du chrysotile en mai 2010, entrevue qui lui a été refusée.

L'Institut du chrysotile, anciennement l'Institut de l'amiante, a été créé en 1984. Bien que plusieurs le voient comme le lobby de l'industrie, c'est une étiquette que l'organisme rejette vigoureusement. Son premier objectif est de «favoriser l'adoption et la mise en vigueur de règlements, de normes, de méthodes de travail et de techniques appropriés à l'utilisation sécuritaire de l'amiante chrysotile». L'organisme n'a pas voulu commenter le procès Eternit vendredi.

«Le Québec est au centre de notre sujet, dit M. Bruno, en entrevue téléphonique avec La Presse. Nous avons tenté de tourner au Canada, mais devant le refus de l'Institut du chrysotile, nous avons préféré nous rendre dans d'autres pays.»

Le film de M. Bruna suit des victimes de l'amiante en Italie. On peut y voir Romana Blazoti raconter comment elle a vu mourir son mari, puis sa soeur et enfin sa fille, tous fauchés par le mésothéliome.

Elle décrit les souffrances de sa fille, diagnostiquée en mars 2004, qui a vécu les 47 derniers jours de sa vie sous oxygène et sédation. «J'étais à côté d'elle et je ne pouvais rien faire pour l'aider, témoigne Mme Blazoti. Elle n'avait jamais travaillé chez Eternit. Je ne cherche pas la vengeance. Mais j'aimerais que les coupables aient l'occasion de suivre une victime du mésothéliome du début à la fin.»

On se rend aussi en Inde, grand importateur d'amiante, et au Brésil, grand exportateur. C'est d'ailleurs dans ce dernier pays que le débat sur l'amiante est le plus vigoureux. La substance y est interdite dans quatre provinces. On y suit Fernanda Gienasi, une inspectrice du travail de la province de São Paolo, qui a interdit l'amiante. On la voit inspecter un chargement d'amiante-ciment confisqué dans la cour d'une entreprise. «C'est ridicule, lisez cet avertissement: "Ne pas respirer", dit-elle. Comment arrêter de respirer?»

Mais c'est évidemment vers l'Italie que tous les yeux de la «planète amiante» seront tournés lundi. «C'est la première fois qu'il y a un procès criminel sur l'amiante, dit M. Bruna. Ce procès va changer la perspective internationale à ce sujet.»