L'appréciation du dollar canadien et l'augmentation des coûts de l'énergie ont réduit la compétitivité des alumineries canadiennes. Les nouvelles usines se construiront au Moyen-Orient, en Afrique ou en Amérique du Sud, là où il y a encore de l'énergie à bas prix.

Quelque part sur la côte est de l'Arabie saoudite, il se construit une aluminerie dont les coûts de production seront les plus bas au monde. Cette coentreprise du gouvernement saoudien et d'Alcoa, qui nécessite des investissements de 10 milliards de dollars US, a aussi le potentiel de produire plus d'aluminium que toutes les alumineries en activité au Canada.

À lui seul, ce projet explique pourquoi la part du Québec dans la production mondiale d'aluminium, qui est actuellement de 7%, n'augmentera pas. L'énergie qui servira à faire les lingots saoudiens ne coûtera pratiquement rien à Alcoa. À 4,3 cents le kilowattheure, soit le tarif consenti aux alumineries, l'énergie québécoise est trop coûteuse pour les nouveaux projets, selon l'Association canadienne de l'aluminium.

La production mondiale d'aluminium devra doubler d'ici 2020 pour répondre à la demande. Cette nouvelle production se déplacera vers les pays qui offrent de l'énergie à prix encore plus bas que le Québec, et qui sont prêts à faire plus d'efforts pour attirer l'industrie.

C'est le cas de l'Arabie saoudite qui, en plus d'être partenaire à 75% dans le projet, fournit de l'énergie à très bas prix; dans ce cas-ci, du diesel.

«De plus en plus, l'industrie va là où se trouvent des bassins d'énergie captive», explique Jean Simard, le président de l'Association de l'aluminium du Canada.

Dans plusieurs pays producteurs de pétrole, le gaz naturel extrait en même temps que le brut est brûlé à la torchère, parce qu'il ne peut pas être utilisé. «Dans ces pays, il y a une volonté de convertir cette perte en richesse, ajoute Jean Simard. On veut aussi diversifier une économie basée sur la production de pétrole.»

L'industrie de l'aluminium, dominée en Occident par les géants Rio Tinto et Alcoa, ira aussi là où elle est la bienvenue. C'est le cas de l'Arabie saoudite, qui veut diversifier son économie et qui fait les yeux doux aux investisseurs.

Ce n'est pas le cas du Québec, où l'octroi de blocs importants d'énergie aux alumineries suscite toujours la controverse (voir autre texte).

Les sites des futurs projets d'aluminerie réunissent ces conditions gagnantes pour l'industrie. Rio Tinto Alcan lorgne le Cameroun et le Paraguay. Alcoa a des projets de construction en Angola, en plus de l'Arabie saoudite. Entre 2000 et 2015, la production d'aluminium primaire aura triplé dans les seuls pays du Golfe, où l'énergie pas chère abonde.

Au Québec, où se trouvent 9 des 10 alumineries canadiennes, les projets d'expansion annoncés et à venir ne suffiront pas à maintenir le rang de la province au sein des régions les plus importantes au monde pour la production d'aluminium.

«La production mondiale va doubler mais le Québec ne doublera pas la sienne. Il n'y aura pas de nouvelle aluminerie, seulement de l'expansion et des mises à niveau dans les installations existantes», dit Jean Simard.

Deux fois moins cher

Maintenant que les très bas tarifs des contrats secrets conclus avec les alumineries sont peu à peu remplacés par des contrats au tarif L, soit 4,3 cents le kilowattheure, le prix de l'énergie au Québec est trop élevé pour les nouveaux projets, explique-t-il. La production d'aluminium primaire est fortement tributaire du prix de l'énergie, qui représente entre 30 et 40% du coût d'un lingot. Selon les chiffres compilés par l'analyste Daniel Denis, de Secor, des pays comme les Émirats arabes unis, l'Afrique du Sud et l'Islande offrent de l'énergie deux fois moins chère que le Québec, soit entre 2 et 3 cents le kilowattheure.

Le Québec produit actuellement 3 millions de tonnes d'aluminium primaire, soit 7% de la production mondiale. «On ne va jamais dépasser ça», estime le porte-parole de l'industrie.

Cette part est appelée à diminuer à mesure que d'autres alumineries se construiront ailleurs dans le monde.

L'énergie renouvelable du Québec, qui donne aux alumineries présentes sur son territoire un avantage environnemental, ne signifie rien dans le marché actuel des produits de base. Un lingot d'aluminium ne se vend pas plus cher s'il est produit avec de l'énergie verte.

Selon Jean Simard, si un marché international du carbone devait voir le jour, le Québec serait avantagé. Il pourrait augmenter le prix de son énergie et garder ses alumineries. «Ça l'aiderait à maintenir sa capacité de production actuelle», avance-t-il.