Jadis toute-puissante, l'industrie canadienne de l'amiante est actuellement paralysée pour la première fois en 130 ans, alors que la production de la fibre controversée a été stoppée dans les deux mines du pays.

La fermeture, plus tôt ce mois-ci, de la mine Lac d'amiante du Canada à Thetford Mines, au Québec, représente une étape marquante dans l'histoire d'une industrie qui, jadis, a dominé la production mondiale et mené à la construction de villes entières au Canada.

Les partisans de l'amiante canadien affirment qu'il est encore trop tôt pour signer son arrêt de mort, et disent espérer recommencer à creuser dès le printemps prochain.

Mais pour l'instant, malgré les récriminations politiques et en dépit d'une autre conférence de presse contre l'amiante, jeudi à Ottawa, la production canadienne s'est silencieusement et soudainement arrêtée.

L'interruption des activités à Thetford Mines est survenue peu de temps après l'arrêt de la production à la mine Jeffrey d'Asbestos, à 90 kilomètres de là. L'avenir des deux mines demeure incertain.

La mine Jeffrey a besoin d'une garantie de prêt bancaire de 58 millions $ du gouvernement du Québec avant de commencer à creuser une nouvelle mine souterraine. Lac d'amiante du Canada serait, de son côté, incapable d'accéder à son minerai à Thetford Mines.

L'amiante canadien devrait complètement disparaître des marchés internationaux au cours des prochaines semaines, au fur et à mesure que les stocks des deux mines s'épuiseront, a prévenu le président de la mine Jeffrey, Bernard Coulombe.

Est-ce que cet arrêt de production signifie la mort du secteur de l'amiante au Québec? Non, s'il faut en croire M. Coulombe.

«Ce n'est pas fermé (...) La fibre est toujours vendue», a-t-il dit, avant d'expliquer que les deux mines vendent encore de petites quantités puisées dans leurs inventaires. Il croit que la production de la mine Jeffrey reprendra dès le printemps, une fois la garantie de prêt obtenue.

Cet arrêt de production n'est que le plus récent coup encaissé par une industrie qui, depuis longtemps, n'est plus que l'ombre d'elle-même.

L'amiante canadien représentait 85 pour cent de la production mondiale au début des années 1900, et la production annuelle du pays a atteint un sommet de 1,69 million de tonnes métriques en 1973, selon le Geological Survey des États-Unis (USGS).

La ressource était si précieuse que l'armée américaine avait élaboré dans les années 1930 des plans pour défendre les mines du Québec si le Canada devait tomber aux mains de l'Allemagne, dit une chercheuse qui a étudié l'histoire de l'amiante au Québec.

Jessica Van Horssen rappelle aussi que le leader nazi Adolf Hitler a acheté de l'amiante canadien jusqu'au début de la Deuxième Guerre mondiale pour rendre des édifices résistants au feu, et que le bunker de Winston Churchill, sur Downing Street, était lui aussi fait d'amiante-ciment.

«C'était aussi quelque chose qui rendait le monde plus sécuritaire, et nous voulions être en sécurité, surtout pendant la guerre. C'était rassurant de savoir que les choses contenaient de l'amiante», a dit Mme Van Horssen, une étudiante post-doctorale de l'université McGill.

L'industrie a commencé à glisser dans les années 1970, quand des études ont associé l'amiante à des problèmes de santé comme les maladies pulmonaires et le cancer. En 2010, le Canada ne produisait plus que 5 pour cent de l'amiante mondial, soit 100 000 tonnes, selon le USGS.

Mais M. Coulombe maintient que le marché mondial pour l'amiante chrysotile - le type que l'on retrouve au Canada - demeure robuste, ce qui est de bon augure pour l'avenir de l'industrie. Cela veut toutefois aussi dire que les réserves de la mine Jeffrey auront été épuisées d'ici quelques semaines.

Cette éventualité, ajoute-t-il, inquiète ses clients, qui selon lui voient le chrysotile canadien comme le point de référence de l'industrie. Ses clients doivent maintenant se tourner vers du chrysotile de moindre qualité produit en Russie et au Kazakhstan.

Le président de LAB Chrysotile, le gestionnaire de la mine Lac d'amiante du Canada, n'a pas répondu aux demandes d'entrevue de La Presse Canadienne. La mine serait toutefois aux prises avec un important éboulement, qui empêche LAB Chrysotile d'avoir accès à l'amiante.

M. Coulombe, lui, demeure confiant, au point où 25 travailleurs s'affairent à préparer une nouvelle section souterraine - qui ouvrira si la compagnie obtient sa garantie de prêt de Québec. Cela fait, dit-il, la production de la mine continuera pendant encore 25 ou même 50 ans.

Plusieurs militants, environnementaux ou autres, continuent à réclamer la disparition de cette industrie, accusant le Canada d'exporter son amiante vers des pays où les normes de sécurité sont moins sévères.

Mais M. Coulombe, comme d'autres partisans de l'industrie, insiste pour dire que l'amiante canadien n'est plus utilisé de façon imprudente. Le produit, dit-il, est parfaitement sécuritaire tant et aussi longtemps que les minuscules fibres sont coulées dans des produits comme le ciment.