Les normes sociales évoluent lentement mais sûrement. Au XIXe siècle, la pollution n'était pas considérée comme un problème. Jusque dans les années 70, il était parfaitement acceptable d'utiliser du DDT partout, même une fois les effets de ce produit sur la santé et l'environnement bien connus. On pouvait également fumer n'importe où, même si les risques et les dangers du tabagisme étaient déjà clairs. Il a fallu de nombreuses années et de vifs débats pour modifier les règlements et bannir ces pratiques désormais incompatibles avec les normes et les valeurs de la société. Alors, comment les nouvelles normes sociales se traduisent-elles en règlementation? Pourquoi existe-t-il des écarts entre les valeurs de notre société et les règlements qui la régissent?

La règlementation est un processus politique. Mais pourquoi ce processus fonctionne- t-il mieux dans certains pays que dans d'autres? Les plus grands écarts entre les normes sociales et les règlements sont observables dans les régimes totalitaires et les pays où la corruption est très présente. Dans les sociétés démocratiques, ces écarts ont tendance à être plus petits et éphémères, puisque les gouvernements, une fois conscients de l'évolution des attentes normatives de la population, ajustent les lois pour les mettre en conformité avec les normes sociales dominantes. Néanmoins, même dans ces sociétés, il existe une grande variation dans la rapidité et l'efficacité des gouvernements à changer les normes. L'évolution de la réglementation minière au Québec et en Ontario peut servir ici d'exemple.

La réglementation minière

L'industrie minière a joué un rôle crucial au cours du XIXe siècle, durant l'industrialisation, lorsque l'extraction minière comptait parmi les principaux moteurs du développement industriel et de la création d'emplois. En conséquence, la loi minière avait préséance sur la loi municipale, le développement urbain, ainsi que d'autres intérêts commerciaux, telle l'agriculture. La loi a donné aux sociétés minières le droit de procéder à l'exploration pratiquement n'importe où et d'utiliser les pouvoirs du gouvernement pour exproprier des terres aux fins d'exploitation minière. Ainsi, l'industrie minière a prévalu sur d'autres intérêts sociaux et commerciaux pendant plus d'un siècle.

Toutefois, récemment, le passage à une activité économique basée sur l'industrie du savoir et des services a réduit l'importance relative de l'exploitation minière au Canada. En outre, la protection de l'environnement et le développement durable sont devenus des valeurs très partagées au sein de la société. Avec les nouvelles normes sociales, l'exploration et l'exploitation minières agressives dans les zones urbaines, les aires protégées et les destinations touristiques sont devenues illégitimes, c'est-à-dire socialement inacceptables pour le public.

En Ontario, le décalage résultant de la préséance injustifiée des sociétés minières dans les revendications territoriales a été éliminé en 2009. La loi provinciale sur les mines exige maintenant que les sociétés minières démontrent qu'elles ont obtenu la permission des autres utilisateurs du territoire pour procéder avec leurs activités.

Québec reste sur ses positions

Toutefois, au Québec, en dépit de récentes controverses sur le gaz de schiste et de débats sur l'exploitation minière en Estrie, en Mauricie et dans les Laurentides, le gouvernement tarde à combler l'écart entre les valeurs sociales et la réglementation désuète. Même dans le dernier projet de loi (Loi 14 Loi sur la mise en valeur des ressources minérales dans le respect des principes du développement durable), le gouvernement refuse de reconnaître la préséance des lois municipales et des considérations d'aménagement et d'urbanisme sur les intérêts miniers.

Si le Québec conserve la préséance de la réglementation minière datant d'une autre époque, tandis que d'autres provinces alignent leurs lois avec les normes sociales actuelles, les sociétés minières continueront à se presser à la porte des zones urbaines de la province, des aires protégées et des régions touristiques. De plus, la dégradation de l'environnement, la perturbation des communautés et la baisse des retombées du tourisme ne seront pas compensées par les avantages économiques.

En effet, les bénéfices de l'exploitation minière iront à des investisseurs privés en dehors du Québec, alors que toutes les pertes sociales, économiques et environnementales seront subies par les résidants, les municipalités et les contribuables québécois.

Que devraient donc faire les sociétés minières lorsqu'il y a un décalage entre les normes sociales et la réglementation? Nous avons vu des exemples de comportements opportunistes discutables plus tôt cette année, lorsque Pacific Resources Arc (TSE-Venture : PAV) et OnTrack Exploration, de Vancouver, ont procédé à un «forage clandestin « dans la région touristique des Laurentides, sans même faire part de leurs véritables intentions aux autorités municipales et à la population locale. Je dirais que lorsque

la loi est désuète et en rupture complète avec les normes sociales actuelles, les entreprises socialement responsables devraient être guidées par ce qui est juste, et s'abstenir de pratiques illégitimes, même si ces dernières sont toujours légales.

Alex Bitektine est professeur à HEC Montréal.