«Bienvenue au paradis des tuyauteurs», lance Vincent Chornet, président d'Enerkem, en poussant les portes de son usine de démonstration commerciale de Westbury, en Estrie.

La vision est impressionnante. En regardant vers le haut plafond, on n'aperçoit que des tuyaux de toutes les grosseurs qui se croisent dans d'inextricables spaghettis.

Au beau milieu trône ce qui ressemble à une fusée métallique bleue: c'est le réacteur dans lequel les déchets sont gazéifiés à des températures de 700 degrés Celsius pour se transformer en carburant. En tout, le processus ne prend que quatre minutes.

Vieux sofas, bouts de bois, plastique non recyclable, alouette: Enerkem prétend être capable de prendre les «déchets ultimes», ceux qui sont impossibles à composter ou à recycler, pour en faire du carburant.

«Ça ressemble un peu à ce que vous verriez dans une raffinerie de pétrole, mais à plus petite échelle», pointe M. Chornet en montrant ses installations.

La principale différence est toutefois ailleurs. Plutôt que d'alimenter sa raffinerie avec du pétrole brut dont le prix ne cesse de monter, M. Chornet y fait entrer des matières dont on paie habituellement... pour se débarrasser.

«On a des revenus des deux côtés, souligne le président. On se fait payer pour prendre la matière première, et on la transforme en éthanol que l'on vend.»

Un projet développé de père en fils

La technologie d'Enerkem fonctionne pour une raison: comme le carburant, les déchets sont surtout formés de carbone. Cette pensée a germé pour la première fois dans la tête d'Esteban Chornet, père du président d'Enerkem, un ingénieur chimiste d'origine espagnole qui a passé une partie de sa carrière à peaufiner sa technique dans les labos de l'Université de Sherbrooke.

C'est au tournant du millénaire que son fils Vincent, formé en commerce et en finances à HEC Montréal, décide de sauter dans le bateau et de lancer une entreprise pour commercialiser les recherches de son père.

«Je me suis toujours su et connu entrepreneur. Chez nous, on dit qu'on a la biomasse dans l'ADN», lance Vincent Chornet, dont le grand-père exploitait des scieries en Espagne.

Enerkem a commencé par construire une usine-pilote à Sherbrooke, avant de bâtir l'usine de démonstration commerciale de Westbury, en Estrie, que La Presse Affaires a visitée.

Celle-ci est située à un jet de pierre des installations de Trèd'Si, une entreprise qui récupère ce qu'elle peut des vieux poteaux d'Hydro-Québec. Ce qui est irrécupérable est envoyé par convoyeur à Enerkem, qui transforme pour l'instant cette matière en méthanol (un alcool qui sert notamment à fabriquer du biodiésel).

L'usine de démonstration de Westbury devrait bientôt produire de l'éthanol, mais ce n'est pas encore fait. Enerkem se défend toutefois de mettre la charrue avant les boeufs en se lançant dès maintenant dans la construction d'usines commerciales.

«L'étape de la transformation du méthanol à l'éthanol implique des réactions chimiques connues et pratiquées dans l'industrie avec des catalyseurs connus. Nous faisons tout cela à notre usine pilote de Sherbrooke depuis plusieurs années», assure l'entreprise.

Et même si l'usine de démonstration fonctionne surtout avec des résidus de bois, l'entreprise l'alimente aussi avec des déchets ultimes hétérogènes pour en étudier le fonctionnement.

Enerkem compte maintenant surfer sur les incitatifs gouvernementaux qui exigent qu'une certaine proportion des carburants utilisés au Canada et aux États-Unis soient «renouvelables». Et comme l'éthanol produit à partir de maïs ne peut répondre à l'ensemble de ces exigences et soulève les débats sur la pertinence d'utiliser des terres agricoles pour produire du carburant, Enerkem croit pouvoir bénéficier d'un marché naturel pour ses produits.

«Il doit y avoir une cinquantaine de compagnies qui essaient d'arriver avec des technologies pour produire des carburants d'une nouvelle façon. On est dans le peloton de tête, dans le top 5, croit Vincent Chornet. Et une position comme ça, ça se maintient en faisant bien nos projets et en livrant bien nos usines.»