Les prix de l'essence à la pompe battent des records historiques en Europe alors que le pétrole est encore loin de ses sommets de 2008, une anomalie complexe à expliquer qui interpelle les associations de consommateurs et pousse le gouvernement à lancer des contrôles.

La semaine dernière, le litre de super sans plomb 95 a franchi la barre de 2,30 $ en moyenne, une première en France.

Pourtant, le cours du baril Brent de la Mer du Nord, sur lequel sont censés être indexés les prix à la pompe, n'a pas dépassé les 120 $ US. En juillet 2008, il était monté jusqu'à 147 $ US.

«On ne se l'explique pas. Tout ce qu'on peut faire, c'est s'étonner», avoue Thierry Saniez, délégué général de l'association de consommateurs CLCV.

«Il faut que les pouvoirs publics soient extrêmement vigilants sur la formation des prix, qu'il n'y ait pas d'effet d'opportunité pour certains professionnels», met-il en garde.

Pour sa part, la députée socialiste de la Gironde, Michèle Delaunay, a estimé qu'«il ne faut pas être grand mathématicien pour comprendre que l'écart entre le prix à la pompe et le prix réel provient de la spéculation».

Face à ces interrogations, le gouvernement a chargé mercredi l'Observatoire des prix et des marges de veiller «à ce qu'il n'y ait pas d'abus dans la répercussion» entre les prix des raffineries et les prix à la pompe, selon le secrétaire d'État au Commerce Frédéric Lefebvre.

Et la ministre de l'Économie Christine Lagarde réunira tous les acteurs de la filière avant la fin mars «pour réexaminer ces questions de marge».

Pour autant, d'éventuelles fraudes ne suffisent pas à expliquer l'ampleur de l'écart entre les prix à la pompe et les cours du brut.

«C'est lié au taux de l'euro, qui joue aujourd'hui un moindre rôle d'amortisseur qu'en 2008», avance Guy Maisonnier, ingénieur-économiste à l'IFP-Énergies-Nouvelles.

La monnaie unique, qui s'échangeait à 1,55 $ en moyenne en juin 2008 (lors des précédent pics de l'essence), ne valait plus que 1,36 $ en février.

En dollars, le baril de Brent était ainsi 22% plus cher en juin 2008 (132 dollars/baril) qu'en février 2011 (104 $). Mais en tenant compte du taux de change, la différence de prix est ramenée à 11%, avec un baril à 76 euros le mois dernier contre 85 euros en juin 2008.

Une autre raison tient au fait que les prix à la pompe ne suivent pas uniquement les mouvements des marchés du pétrole de Londres ou de New York, qui évoluent au gré des tensions géopolitiques ou de la vigueur de la demande chinoise d'or noir.

Le gazole et l'essence sont en effet cotés sur des marchés séparés, à Rotterdam (Pays-Bas) notamment, et l'évolution de leurs cours dépend de facteurs tels que le niveau de production des raffineries européennes ou les quantités de gazole exportées par les États-Unis et la Russie.

Ainsi, le prix du gazole était monté jusqu'à 1,45 euro par litre fin mai 2008, un niveau dont il reste loin aujourd'hui (à 1,82 dollar/litre).

«Il y avait beaucoup plus de tensions sur le gazole en 2008 car il y avait moins d'exportations américaines disponibles», explique Guy Maisonnier.

Enfin, les professionnels du secteur identifient une autre source de hausse des prix dans les nouvelles réglementations et taxes (certificats d'économie d'énergie, biocarburants...) qui pèsent sur l'industrie.

L'Union française des industries pétrolières (Ufip) estime ainsi à environ 41 cents par litre les coûts supplémentaires liées à ces dispositions diverses.