Une bagarre pour des centaines d'emplois se dessine entre l'Abitibi québécois et le nord de l'Ontario au sujet d'un projet de fonderie lié à une nouvelle mine dans la région. Des dizaines de millions en investissements sont en jeu.

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Cette rivalité pourrait déborder vers les capitales des deux provinces. Le promoteur de la fonderie, Cliffs Natural Resources, établi à Cleveland, en Ohio, entend en effet magasiner les offres de tarifs d'électricité.

Au Canada, Cliffs est connue comme propriétaire-exploitant de la mine de fer Wabush, au Labrador. La minière a également acquis récemment pour 4,9 milliards la minière québécoise Consolidated Thompson, aussi active dans le minerai de fer.

Le projet de Cliffs comprend la mise en exploitation d'un gisement de chromite dans le nord de l'Ontario et l'implantation d'une fonderie afin de produire du ferrochrome, ingrédient de l'acier inoxydable.

L'ampleur prévue de ce projet: plusieurs dizaines de millions en investissements et la création d'au moins 900 emplois d'ici cinq ans, dont 400 pour la fonderie d'une capacité de 1500 tonnes par jour.

C'est ce projet de fonderie qui suscite la convoitise entre les villes de Rouyn, en Abitibi, et de Sudbury, en Ontario, toutes deux déjà établies dans la première transformation de minerais.

Cette convoitise a été attisée récemment par les commentaires de dirigeants de Cliffs lors d'une présentation aux analystes des principaux éléments du projet de mine de chromite et de fonderie de ferrochrome.

Interrogé sur l'emplacement de la fonderie, en particulier sur l'accès aux 300 mégawatts requis en énergie, le directeur de projet chez Cliffs, Bill Boor, a révélé «qu'au coût actuel de l'électricité, il n'y a pas d'endroit en Ontario qui serait économiquement viable pour implanter une fonderie».

Ce commentaire négatif a vite interpellé les intervenants économiques et politiques du nord de l'Ontario. Et il n'est pas passé inaperçu du côté de l'Abitibi québécois.

À Sudbury, on craint maintenant d'échapper le projet de fonderie et ses 400 emplois au profit du voisin québécois, où abonde l'énergie électrique à bas coût. Les intervenants régionaux demandent au gouvernement ontarien de préparer une offre d'électricité à tarif subventionné pour garder le projet de fonderie de Cliffs.

L'opposition néo-démocrate à la législature ontarienne est aussi sur l'affaire. Son chef, Howard Hampton, est intervenu la semaine dernière pour réclamer un programme d'énergie électrique spécifique au nord de l'Ontario afin que la région soit plus concurrentielle pour attirer des projets industriels.

Selon M. Hampton, dans le cas de la fonderie de Cliffs, l'écart actuel de tarif entre l'Ontario et le Québec engendrerait un surcoût d'énergie d'au moins 30 millions.

Pendant ce temps, à Rouyn, en Abitibi, les intervenants économiques se mobilisent afin d'attirer le projet industriel de Cliffs. D'autant plus qu'un tel investissement pourrait suppléer à l'atrophie des activités de la fonderie Horne, toujours le symbole industriel de Rouyn.

«Les intervenants de la région ont entrepris des démarches auprès des dirigeants de Cliffs. Nous pouvons déjà leur offrir quantité d'énergie électrique à prix concurrentiel, en plus d'un savoir-faire établi en mines et métaux», a expliqué André Rouleau, directeur du Centre local de développement de Rouyn.

Le temps presse pour ce «lobbyisme abitibien». Les dirigeants de Cliffs disent vouloir terminer en septembre l'étude préliminaire de faisabilité de leur projet de mine et de fonderie.

L'analyse détaillée devrait suivre en 2012, afin de pouvoir lancer les travaux de construction en 2013. La mise en exploitation de la mine et de la fonderie surviendrait deux ans plus tard, en 2015.

Du côté québécois, les gens de Rouyn ont déjà averti la société d'État Investissement Québec de leur intention d'attirer chez eux les immobilisations et les emplois industriels de Cliffs.

«Nous sommes au courant de cette démarche, mais nous n'y participons pas encore parce que le projet est trop préliminaire», a indiqué Josée Béland, porte-parole d'Investissement Québec.

«Quant à l'admissibilité d'un tel projet de fonderie à nos programmes d'aide, nous y verrons lorsque nous aurons obtenu une demande officielle.»

À Hydro-Québec, on dit aussi attendre une demande de soumission d'énergie de la part de Cliffs avant de jauger de sa pertinence commerciale et technique.

Chose certaine, toutefois, parce que le projet de fonderie implique plus de 50 MW de puissance - quelque 300 MW en fait -, toute négociation de contrat et de tarif devrait passer par le gouvernement du Québec.

«C'est la norme pour les projets industriels de plus de 50 MW selon la Stratégie énergétique 2006-2015 du gouvernement québécois», a indiqué Flavie Côté, porte-parole au siège social d'Hydro-Québec à Montréal.