Présentée comme une mesure environnementale, la production d'éthanol à partir de maïs est-elle surtout une politique d'aide à l'agriculture déguisée? Beaucoup de spécialistes le pensent, et pas seulement chez les environnementalistes, qui critiquent la culture intensive du maïs pour faire rouler les voitures. Malgré tout, l'industrie continue de progresser, surtout aux États-Unis, à coup de subventions massives. En attendant les biocarburants de nouvelle génération, le Canada aide lui aussi la production d'éthanol-maïs, qui sera délogée un jour par de l'éthanol d'autres sources ou d'autres biocarburants moins controversés.

Qu'est-ce qui coûte une fortune aux contribuables américains, qui contribue à l'augmentation du prix des aliments et qui va peut-être déclencher une nouvelle guerre commerciale entre les États-Unis et l'Europe? L'éthanol à base de maïs, biocarburant conçu avec les meilleures intentions du monde, est au centre d'une controverse croissante au sud de la frontière, qui pourrait finir par lui être fatale. Déjà, l'éthanol est critiqué pour ses qualités environnementales incertaines et parce que l'utilisation massive du maïs dans la production de carburant a fait augmenter le prix des céréales et celui des aliments. Il est maintenant autant vilipendé pour le coût astronomique des subventions dont il bénéficie.

Avec le temps, l'industrie de l'éthanol est devenue un acteur politique important aux États-Unis. C'est une industrie de 27 milliards de revenus par année, avec une armée de producteurs de maïs et d'employés des raffineries prêts à défendre bec et ongles leur gagne-pain. Il y a plus de 200 usines d'éthanol aux États-Unis et leur production atteindra cette année 12,8 milliards de gallons, un dixième de la consommation d'essence des Américains. Les États-Unis sont devenus le premier producteur mondial d'éthanol à base de maïs, devant le Brésil qui utilise la canne à sucre.

Cette industrie a progressé dans un environnement très confortable. C'est Jimmy Carter qui lui a donné un premier vrai coup de pouce lors de la première crise du pétrole, dans les années 70. Après le 11 septembre 2001, Georges W. Bush en a remis pour réduire la dépendance des Américains au pétrole importé. Aujourd'hui, les raffineries de pétrole obtiennent un crédit d'impôt de 45 cents pour chaque gallon d'éthanol qu'ils mélangent à l'essence régulière. L'éthanol doit obligatoirement représenter 10% des mélanges d'essence. En outre, toute importation d'éthanol est frappée d'un tarif de 54 cents le gallon, ce qui protège encore davantage les producteurs américains.

Subventions

L'aide fiscale et les subventions versées à l'industrie coûtent 5 milliards par année aux contribuables. Ces mesures devaient prendre fin dans deux jours, le 31 décembre, et le débat entre ceux qui appuient ces programmes et ceux qui s'y opposent a culminé aux élections de mi-mandat, en novembre. D'un peu partout, des voix se sont élevées pour souligner qu'une industrie favorisée non seulement par des subventions, mais aussi par une obligation de consommation et une protection contre les importations, devrait commencer un jour à pouvoir voler de ses propres ailes.

L'ancien économiste de l'Union des producteurs agricoles Mario Dumais, qui a longtemps défendu les mesures d'aide aux agriculteurs, prône aujourd'hui le libre-marché, une conversion surprenante de sa part. «L'expérience de la vie m'a fait prendre conscience qu'il y a des interventions basées sur de bonnes intentions mais qui ont des effets indésirables», explique-t-il. Selon lui, l'éthanol a contribué à la crise alimentaire mondiale de 2008 et les gouvernements ne devraient pas subventionner le carburant, surtout celui produit à partir de céréales qui servent à l'alimentation.

Le changement de cap le plus spectaculaire est celui de l'ex-vice-président Al Gore, qui, après avoir longtemps pris fait et cause pour l'industrie de l'éthanol, estime aujourd'hui qu'il a fait une erreur. Le Prix Nobel de la paix a même reconnu récemment qu'il avait plaidé en faveur de l'éthanol pour gagner l'appui des États ruraux dans sa campagne politique.

De l'autre côté, les producteurs de maïs et autres porte-flambeaux de l'industrie font valoir que la production d'éthanol, en plus de faire travailler des milliers d'Américains, réduit la dépendance des États-Unis au pétrole importé. «Il n'y a pas d'autre carburant alternatif qui peut égaler les avantages économiques et la sécurité énergétique de l'éthanol, a plaidé Bob Dinneen, président et chef de la Renewable Fuels Association. L'éthanol réduit la facture de l'Amérique auprès des pétro-dictateurs du monde.»

Dette, maïs et déficit

Pour le gouvernement américain, qui jongle avec toutes les façons possibles de réduire ses dépenses, l'occasion était belle de mettre fin à sa générosité envers l'industrie. Le moment était d'autant plus opportun que l'industrie produit plus d'éthanol que les automobilistes américains en consomment. Elle exporte donc de plus en plus, à des prix fortement subventionnés, ce qui commence à irriter plusieurs pays d'Europe, de même que le Brésil, dont les importations aux États-Unis sont frappées d'un tarif de 54 cents le gallon. Le Brésil, d'ailleurs, menace de porter la cause de l'éthanol devant l'Organisation mondiale du commerce.

Selon l'Agence internationale de l'énergie, les États-Unis ont dépensé 7,7 milliards en 2009, tout compris, pour soutenir la production d'éthanol, comparativement à 2,1 milliards pour les Européens.

En fin de compte, le gouvernement américain vient de décider que l'aide à l'industrie de l'éthanol sera prolongée d'un an, jusqu'au 31 décembre 2011. La décision, résultat du compromis entre le président Obama et le Congrès à majorité républicaine sur l'ensemble des mesures fiscales héritées du gouvernement précédent, ne met pas fin au débat, on s'en doute bien. L'industrie s'est réjouie de la décision, mais elle regrette en même temps d'avoir encore à vivre dans l'incertitude quant au sort qui lui est réservé. Elle continue de plaider pour le maintien des subventions.

En attendant qu'il reprenne de plus belle, le débat s'est déplacé sur un autre front. Comme la production américaine d'éthanol dépasse maintenant la consommation, l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA) jongle avec la possibilité d'augmenter la proportion obligatoire dans les mélanges d'essence de 10 à 15% pour les voitures antérieures à 2007. La décision de l'EPA, qui a déjà été reportée plusieurs fois et qui est maintenant attendue en janvier, soulève des objections de la part des constructeurs de voitures, qui affirment que les moteurs ne peuvent supporter une augmentation du pourcentage d'éthanol sans subir des dommages. Une poursuite vient même d'être intentée par une coalition formée par les constructeurs américains de voitures et d'équipements motorisés contre l'EPA, avant même que sa décision soit officialisée.